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Or, pendant que chacun s’empresse de la sorte pour faire hommage au prince, le personnage le plus intéressé à cette aventure impériale, le savant dont les découvertes patronnées par le tsar doivent relever le prestige de la Russie au sein de l’église orthodoxe, M. Tischendorf enfin, est retenu par la quarantaine dans le lazaret de Jaffa. Vainement en pousse-t-il des cris de colère ; tout ce qu’il peut obtenir, c’est de faire passer au prince une lettre où il lui annonce le trésor découvert au Sinaï. Eh bien ! de tous les hommages de bienvenue prodigués au noble couple, aucun ne lui fut plus agréable que ce simple billet : « Notre mission n’aura pas été vaine, une grande chose en consacrera le souvenir. Je vais mettre au jour, grâce à vous, le plus ancien manuscrit connu de l’Évangile. »

Le lendemain, dès l’aube, le grand-duc Constantin et sa suite étaient partis de Jaffa pour Jérusalem. C’est dans la ville sainte qu’était le rendez-vous. Délivré ce jour-là même, M. Tischendorf se mit en route avec trois de ses compagnons de captivité, un officier prussien, un Écossais et un Américain. Ils s’étaient procuré en toute hâte des chevaux et des mules ; ils parcourent les riches vallées de Saron, si poétiquement célébrées dans le Cantique des Cantiques, ils arrivent à Ramleh, où tant de souvenirs bibliques et chrétiens se groupent autour des minarets mahométans ; ils s’arrêtent quelques heures au couvent latin de Saint-Nicodème, et bientôt ils aperçoivent à l’horizon la caravane du grand-duc.


« En tête de la caravane marchait un escadron bien équipé. C’étaient l’archevêque de Petra en costume ecclésiastique, le caïmakan de Jaffa, le commandant de la garnison, suivi d’une troupe de cavalerie régulière et de bachi-bouzouks, dont les armes brillantes et les uniformes de toute couleur étincelaient au soleil. Le grand-duc montait un cheval blanc de pur sang arabe, que le pacha gouverneur de Constantinople avait envoyé pour lui à Jaffa. La grande-duchesse était dans un palanquin turc, également envoyé par le pacha ; c’était une sorte de calèche traînée par deux mules que conduisaient deux Arabes. Quatorze soldats de marine, de la garde particulière du grand-amiral, formaient l’escorte de la noble dame. Les dames de sa suite voyageaient aussi en palanquin, excepté la jeune comtesse Kamarofsky, bien campée sur son cheval. Le jeune grand-duc Nicolas, âgé de dix ans, montait un cheval dont la selle, présent de la reine de Grèce, avait la forme d’un fauteuil. La suite du grand-duc se composait d’une centaine de cavaliers. Nous nommerons parmi eux le conseiller d’état Manzurof, chargé de la direction supérieure du voyage, le médecin Haurowitz, un des plus dévoués serviteurs du grand-duc, le secrétaire intime Golownin, esprit et caractère commandant le respect, le maréchal de la cour Tschitschezin, dont la femme faisait partie de l’expédition, le contre-amiral Istomin, le capitaine de vaisseau Taube, avec huit officiers de l’escadre, les trois aides-de-camp Lissianski, Likhatschof et Boye, les