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races[1], autant elle serait portée à fermer les yeux sur une liquidation qui prendrait la forme de représailles. Ce serait bien pis, si Davoud-Pacha n’était qu’un de ces chrétiens courtisans dont fourmillent les bureaux de Constantinople, car il ne perdrait certainement pas si belle occasion de réaliser sous le masque d’un feint emportement de secte, c’est-à-dire sans responsabilité visible pour son gouvernement, le second point du programme traditionnel de Constantinople, de reprendre sous forme de guerre civile la fameuse tentative judiciaire de Fuad-Pacha, en un mot de faire écraser l’élément massacreur par les élémens décimés, qui, résultat non moins précieux, resteraient par le fait seul de leur victoire à la merci de la Porte[2]. — L’Europe ne se croirait-elle pas en éfFet dispensée de les protéger en les voyant se faire justice à eux-mêmes ? — Outre l’avantage d’en finir ainsi du même coup avec les deux pivots de la nationalité libanaise[3], la Porte, avait à cette manœuvre un grave intérêt de circonstance : celui de couper court aux dangereux pourparlers engagés par les chefs druses du Hauran avec les Maronites, auxquels ils proposaient une réconciliation dont l’usurpation ottomane eût payé tous les frais. Sous l’apparente solidarité qu’une impunité commune, et dont, je le répète, il n’avait pas tenu aux Turcs de les exclure, leur donnait de loin avec le triomphe diplomatique de ceux-ci, les Druses trouvaient donc dans la solution nouvelle plus de sujets de mécompte et autant de motifs d’inquiétude que les chrétiens.

  1. Témoin le double contre-ordre qui, pendant l’hiver de 1860, vint suspendre dans les villages mixtes non-seulement les secours en nature par lesquels les Druses étaient tenus d’aider à la réinstallation des chrétiens, mais encore la restitution des objets pillés. Illusoires partout où l’exécution en était confiée aux autorités turques, les mesures prises dans ce sens étaient secondées par les cheiks druses eux-mêmes partout où l’autorité militaire française les couvrait de son contrôle.
  2. La crainte que les Turcs préméditassent une contre-partie chrétienne des massacres n’avait pas même attendu pour se manifester la nomination d’un pacha chrétien. Au départ des troupes françaises, c’est-à-dire au moment même où le Liban mixte retombait sous la protection exclusive des garnisons turques, une cinquantaine des principales familles druses de Badine, de Barouck et d’Amatour s’empressèrent d’émigrer.
  3. Bien que ces différens dangers ne se soient pas réalisés, nous avons dû les énumérer, non-seulement pour faire comprendre les difficultés et les tentations contre lesquelles a dû lutter Davoud-Pacha, mais encore et surtout parce qu’ils pèsent comme une menace permanente sur la montagne tant qu’elle sera administrée par un gouverneur non indigène à mission révocable et temporaire, c’est-à-dire lié vis-à-vis des Turcs par la triple chaîne de la reconnaissance, d’une position à sauver et d’un avancement à conquérir.