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utilité en saisissant toutes les occasions de conflit. Ces occasions naissaient par milliers du fait seul de la brutale assimilation établie entre six élémens si inégaux, car tous, petits et grands, ceux-ci pour affirmer leur importance méconnue, ceux-là pour essayer leurs nouveaux droits, s’évertueraient à qui mieux mieux à rendre la vie dure au gouverneur. Quelques moyens de division que ce système lui mît aux mains, Davoud-Pacha ne pouvait pas les faire tourner au profit de l’action régulière du gouvernement. Essayer de gagner les Maronites et les Druses en leur restituant dans la pratique la prépondérance traditionnelle que leur enlevait le règlement, c’était indisposer les quatre minorités qu’il favorisait et s’aliéner huit voix sur douze dans le medjlis administratif central. Intéresser au contraire ces minorités par une application littérale du règlement à assurer la marche du nouveau régime, c’était alimenter le mécontentement des cinq sixièmes du pays. Davoud-Pacha n’avait donc ici que le choix d’entrer en lutte ou avec la majorité qui vote l’impôt, ou avec la majorité qui le paie.

La conférence de Constantinople avait d’ailleurs réglé le budget du Liban de telle façon qu’elle ne s’y serait pas mieux prise, si elle s’était donné pour tâche de faire de cette question de l’impôt non plus seulement un moyen, mais encore une cause directe d’opposition. Après avoir voté une organisation qui devait coûter annuellement, et au plus bas, 11,000 bourses[1], elle maintenait l’impôt de la montagne à l’ancien chiffre de 3,500 bourses, en se bornant à ajouter, d’une part, qu’il pourrait être porté au double lorsque les circonstances le permettraient, et d’autre part que, « si les frais généraux strictement n²cessaires à la marche de l’administration dépassaient le produit des impôts, la Porte aurait à pourvoir à ces excédans de dépense. » Ceci revenait du même coup à créer un déficit immédiat et à fermer indéfiniment la source des recettes qui pouvaient seules le combler. Est-ce au lendemain d’un massacre qui avait privé des milliers de familles de leurs soutiens, au lendemain d’incendies et de pillages qui avaient anéanti le capital des deux principaux centres manufacturiers et commerciaux de la

  1. Environ 1,200,000 francs. Pour ne pas dépasser ce chiffre, le premier budget de Davoud-Pacha réduisait à cinq hommes sur mille habitans au lieu de sept, proportion fixée par le règlement, l’effectif de la gendarmerie indigène, qui, ainsi limitée, ne devait pas moins coûter 5,154 bourses ou près de la moitié du budget. Quant aux traitemens civils, qui absorbaient presque entièrement le reste, ils n’avaient assurément rien d’exagéré. Celui des ouékils variait entre 550 francs et 150 francs par mois. Les membres des deux cours supérieures touchaient 210 francs, ceux des tribunaux judiciaires et administratifs d’arrondissement 80 fr., les juges de paix 36 fr., les cheiks communaux 22 fr. Parmi les moudirs (espèces de préfets), un seul, celui du Kesraouan, recevait 660 fr. par mois, et les autres 600, — 550, — 440 et 330 fr.