son absence bien au-delà des prévisions, le bruit courut dans les districts mixtes qu’il était retenu prisonnier à Eden par un soulèvement des amis de Yussef Caram, et aussitôt Druses et chrétiens de croire que tout allait recommencer. Les khalouié[1] s’éclairent chaque nuit ; les soldats et officiers turcs redeviennent un moment pour chaque maison druse des hôtes choyés. Ici, c’est un village druse dont les quelques habitans chrétiens s’évadent sans bruit ; ailleurs, les chrétiens se comptent et visitent leurs armes, surveillant surtout avec anxiété les gorges par où arrivaient d’ordinaire les bandés du Hauran. — Bientôt même le plus pillard des cheiks druses, jugeant le bon temps revenu, courait avec ses gens à son poste officiel de combat, c’est-à-dire sur la grand’route, et tailladait à coups de yatagan un passant chrétien qui n’avait pas livré assez vite son argent. Sur un autre point, un chrétien, se trouvant inopinément face à face avec trois Druses, se ruait en désespéré, presque en aveugle, sur ceux-ci, et tuait sur place l’un d’eux, un vieillard qui n’avait pas pu fuir aussi vite que ses compagnons. Le meurtrier, outre qu’il était seul contre trois, n’avait pour arme qu’un mauvais couteau : la croyance à un nouveau duel à mort entre sa race et les Druses avait pu seule le porter à cet acte, où l’on ne saurait dire ce qui dominait, de la vengeance ou de la terreur. — Pour provoquer ces transes meurtrières d’une part, ces réveils d’audace cupide de l’autre, il avait suffi, je le répète, du simple bruit que Davoud-Pacha pourrait bien ne pas revenir, c’est-à-dire que le règlement, avec son cortège d’incompatibilités sanglantes, d’influences turques et de garnisons turques, allait être mis purement et simplement en vigueur.
Le gouverneur arriva à temps pour isoler les deux courans ennemis et rétablir la trêve ; mais Fuad-Pacha se le tint pour dit, et, comptant sur l’avenir pour faire regagner à l’idée turque tout le terrain qu’elle avait momentanément perdu, il accepta, approuva même des violations et des dérogations sans lesquelles c’était le principe même du règlement qui pouvait être mis en cause. Ainsi Davoud-Pacha avait cette fois encore pour auxiliaire les impossibilités de sa situation. Le commissaire extraordinaire du sultan fit plus. Il délégua en partant à Davoud-Pacha le pouvoir de faire exécuter les condamnations a mort avant d’en avoir référé à Constantinople, ce qui devait singulièrement contribuer à tenir en respect les Druses, qui n’auraient ainsi plus à compter sur la protection traditionnelle que tout ennemi des chrétiens trouve au sein du grand
- ↑ Bâtimens isolés où les Druses, tant initiés que non initiés, tiennent de nuit leurs assemblées religieuses ou militaires.