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divan. Ce n’est pas tout encore : le jour même de son départ de Beyrout, Fuad-Pacha escamotait, c’est le mot, Yussef Caram, qui, en agitant le Kesraouan, en plaçant Davoud-Pacha dans la triple alternative d’y jeter des troupes ottomanes, ou d’y encourager par son abstention l’anarchie, ou de chercher à y dominer par les divisions, faisait, — et assurément sans le vouloir, — les affaires de l’idée turque. En un mot, c’est le commissaire impérial lui-même qui, par peur de jouer le tout pour le tout en laissant le règlement produire trop vite ses fruits naturels, délivrait Davoud-Pacha de la pression turque sous toutes ses formes.

La pression turque a pris depuis lors mainte revanche ; mais, avant de passer au chapitre des regrets et des craintes, nous devrons arrêter le lecteur devant un tableau fort rassurant et dont nous nous bornions pour aujourd’hui à indiquer les traits principaux. Dès le commencement de 1863, le pays mixte était complètement pacifié : sans la multiplicité des reconstructions, qui racontait les dévastations passées, sans les vêtemens de deuil, qui, dans certaines localités, annonçaient toute une population de veuves, on aurait pu ne pas se douter que l’incendie et le meurtre venaient de passer là. Bien que les Turcs, par l’ajournement systématique des indemnités, laissassent toujours ouvert entre les deux races ce compte de sang et de ruines, la vendetta avait disparu non-seulement du domaine des faits, mais encore, et ce qui était bien autrement inattendu, des mœurs. Druses et chrétiens manœuvraient confondus, au commandement de sous-officiers druses et d’officiers chrétiens, dans le noyau de milice indigène qu’un officier français organisait avec un succès où nous aurons peut-être à chercher l’origine de certains refroidissemens et de certaines reculades. Les Druses étaient encore obligés d’éviter Deir-el-Qamar ; mais la pacifique progression de l’élément chrétien dans le pays druse avait déjà repris son cours : sur douze cent vingt mutations immobilières enregistrées dans l’année pour l’arrondissement du Chouf, cet élément avait fourni huit cents acheteurs et seulement trois cents vendeurs[1]. L’élément druse regagnait de son côté en activité productrice plus qu’il ne perdait en étendue territoriale : faute d’emploi, des bandits de profession étaient redevenus de paisibles et laborieux paysans, et ces bandits-laboureurs poussaient le zèle

  1. Nous avons pu recueillir sur place ces chiffres, que nous garantissons à quelques unités près. Hâtons-nous de dire que ces douze cent vingt actes de vente provenaient pour la plupart de la liquidation de créances en souffrance depuis dix, quinze, vingt ans, et qu’ils donnent ainsi bien moins la mesure du mouvement normal des mutations que celle du fonctionnement régulier de la justice sous la première administration de Davoud-Pacha.