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vers le Jura, les sites alpestres et les campagnes attirantes de l’Italie.

Ce n’est point sous cette figure, il est vrai, qu’apparaissent d’habitude nos spirituelles dames de France, même dans un temps qui passe pour propice à toutes les émancipations et à toutes les fantaisies de l’imagination. Je sais bien un chapitre de notre histoire qui serait curieux à retracer. Ce ne serait ni le chapitre des guerres ni celui des révolutions de pouvoir, ni celui des révolutions économiques ; ce serait le chapitre plus intime des révolutions dans la vie et dans le génie des femmes, depuis Mme de La Fayette jusqu’à nos plus brillantes contemporaines, en passant par Mme du Deffand, Mlle de Lespinasse, Mme Roland, Mme de Staël, Mme de Souza, Mme de Duras, et tant d’autres qui jusqu’au moment présent forment comme une tradition ininterrompue d’élégance, de grâce ou de supériorité intelligente. Tout a changé, tout s’est transformé, mœurs, idées, caractères, habitudes privées, conditions publiques. L’atmosphère bouleversée par l’orage est restée confuse et agitée. Le monde n’est plus un salon où se jouent de gracieuses influences, où se déploie une sociabilité raffinée ; il est devenu un champ de bataille, une mêlée où de nouveaux mobiles se sont fait jour, où le rôle des femmes se ressent nécessairement de toutes les complications, de toutes les excitations de la vie moderne. Ce n’est plus le temps de ces existences somptueusement frivoles qui se prélassaient dans les régions privilégiées, de cette légèreté élégante, de ce ton suprême qui faisait l’originalité d’une maréchale de Luxembourg et qui se perd désormais dans une société tumultueuse, ouverte à tout venant. Les barrières sont tombées, le cadre s’est élargi. La vie est aujourd’hui plus libre, plus affairée, plus vulgaire quelquefois, moins artificielle aussi, et les femmes comme les hommes ont leur part dans cette manifestation d’un monde nouveau, dans cette métamorphose universelle.

Au fond cependant, ce qui tient essentiellement à la nature féminine n’a point changé et ne pouvait changer. Quelles que soient les catastrophes et les révolutions, rien ne peut faire qu’il n’y ait chez les femmes des dons de l’esprit, des habitudes d’intelligence qui survivent à tout et se retrouvent à travers tout : dons de sagacité, de promptitude, de finesse, de spontanéité, d’inspiration facile. Comme il y a des travaux matériels auxquels se prête mieux la nature des femmes, il y a aussi des facultés morales qui dominent en elles, qui marquent tout ce qu’elles font d’une ineffaçable empreinte et donnent un caractère très particulier à leur littérature. Il y a un certain ordre de sentimens, des secrets de passion, des nuances de mœurs, des ridicules qu’elles excellent à découvrir, à deviner quelquefois et à reproduire. Ce sont de merveilleuses observatrices, d’une imagina-