Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appartint. « Nous ne sommes pas ici, disait Jérôme, pour peser le mérite de nos hôtes, mais pour leur laver les pieds. » Néanmoins ce concours tumultueux le troublait et lui prenait le meilleur de son temps. Ces admirations, ces curiosités indiscrètes, l’importunaient. « Notre solitude, écrivait-il à Rome, est devenue une foire perpétuelle de passans ; la paix en est tellement bannie qu’il nous faudra ou fermer nos portes ou abandonner l’étude des Écritures, qui nous ordonnent de, les ouvrir. » Pour se soustraire à ces ennuis, il gagnait en grande hâte le sentier d’Archélaüs et courait s’enfermer dans son paradis, dont l’abord était interdit aux fâcheux. Il paraît même, d’après la tradition, qu’il fît pratiquer dans le roc un chemin plus court, au moyen d’un escalier qui, de l’enceinte de son couvent, conduisait au lieu chéri de sa retraite.

Au milieu de tout cela, Jérôme entretenait une vaste correspondance avec l’Italie, la Gaule, la Dalmatie, l’Espagne, avec Rome surtout, En dépit de leur séparation, il était resté l’âme de l’église domestique et de tout ce qui s’y rattachait de près ou de loin. On le consultait sur toutes choses : questions de discipline monastique, questions de dogme, interprétation des textes bibliques, règles de discipline morale, tout était soumis à son tribunal, presque toujours sans appel. Il trouvait en retour dans les membres de cette petite communauté un dévouement sans réserve : hommes et femmes veillaient à l’envi sur sa renommée et faisaient face à ses ennemis, qui n’avaient point désarmé. La polémique en effet se continuait entre eux et Jérôme d’une rive à l’autre de la Méditerranée : c’est à Bethléem qu’il composa ses livres contre Jovinien, et, sous forme de lettres, plusieurs diatribes très mordantes contre les moines et le clergé romain. Cette nouvelle vie ne faisait point oublier non plus à Eustochium et à Paula les êtres si chers qu’elles avaient laissés en Occident, Malgré l’entraînement religieux, malgré cette fièvre de solitude qui l’avait arrachée à ses enfans, Paula était toujours une tendre mère, et ceux-ci lui pardonnaient volontiers, quand ils étaient chrétiens, car ils se fussent fait scrupule de blâmer une conduite à laquelle les plus grands docteurs chrétiens applaudissaient. Pauline, devenue femme de Pammachius, promettait de lui donner bientôt un héritier. Toxotius grandissait en âge plus qu’en raison, au jugement de sa mère. Il restait païen, païen moqueur, poursuivant les chrétiens de ses sarcasmes, jusqu’au jour assez prochain où l’amour le transformerait. On le destinait à Léta, fille d’Albinus, pontife des dieux païens ; mais Léta était chrétienne par sa mère, et le mot de saint Paul, devait se réaliser encore une fois : « Femme, qui sait si vous ne convertirez pas votre mari ? » Furia, lasse de son veuvage, se décidait à le rompre, non sans beaucoup d’hésitation