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pourtant glisse quelquefois dans le vague domaine des lieux-communs sonores, des banalités moroses. Et Mme de Gasparin, elle aussi, dans sa symphonie, a son couplet sur la décadence du temps. — « Notre génération n’a pas d’air, pas de souffle ; elle étouffe et elle subit… » Autrefois, à nos vingt ans,… « on saccageait l’Europe, on jetait aux quatre vents fortune, avenir, sagesse. On était révolutionnaire, on était insensé… » Aujourd’hui notre sagesse s’en est allée, nos jeunes ne sont plus jeunes ; ils ne se courroucent pas,… ils ne font pas des choses « absurdes et grandes, » ils calculent et aiment à se bien porter et à s’amuser avant de savoir ce qu’ils croiront ; ils ne trahissent même pas leurs convictions, ils n’en ont pas… Au rôle de Phaéton tombant à travers les cieux, ils préfèrent le rôle d’un « cocher de fiacre abrité sous une porte cochère. » Pour tout dire, ils sont vulgaires et frivoles. Voilà bien des années que j’entends résonner périodiquement ce glas funèbre. Ainsi c’est entendu, il n’y a plus de jeunesse, plus de convictions, plus de génie, plus de valeur morale. Qui vous l’a dit cependant ? Est-ce que quelques jeunes vagabonds, quelques effrontés de tripots et quelques joueurs de bourse représentent toute une jeunesse et toute une époque ? Encore si c’était neuf, si cette plainte était seulement propre à notre temps ! mais, hélas ! voilà des siècles qu’il vient un moment dans la vie où il est bien convenu que le printemps n’a plus de fleurs, que les femmes n’ont plus de beauté, que les hommes n’ont plus de génie, que la jeunesse n’est plus la jeunesse, que tout s’en va en un mot, et il y a même des météorologistes sur le retour qui en certaines années ont assuré qu’il n’y avait plus d’été ! D’autres l’ont dit avant nous, d’autres le diront après nous. J’aime mieux, je l’avoue, Mme de Gasparin se jouant à décrire les méprises de la vie, même les belles tristesses, ou faisant spirituellement la guerre au formalisme, au pédantisme, aux gens bardés de logique et de déductions rigoureuses qui ne poussent pas un soupir dont ils ne tiennent note, qui ne prononcent pas un mot sans avoir l’œil fixé sur un but.

Ce qu’il y a surtout de plus vivant, de plus original dans ces pages prodiguées par une impétueuse imagination, c’est cette partie descriptive et pittoresque qui se mêle à la fiction légère ou à l’analyse morale, c’est ce sentiment énergique, inépuisable, de la nature qui fait explosion en quelque sorte, qui se répand en mille tableaux d’une libre et franche couleur. Mme de Gasparin est le peintre du Jura et des Alpes. Ses fragmens, — je dis toujours ses fragmens plutôt que ses ouvrages, — sont une succession de paysages où passent tous les sites, tous les aspects, les dentelures des montagnes, les ondulations des vallées, la sombre verdure des forêts, la lumière émiettée et mystérieuse des clairières. Elle aime la