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campagne parce qu’elle la connaît, parce qu’elle vit dans une étroite et familière intimité avec elle, et elle la connaît non-seulement dans ce qu’elle a de séductions superficielles et banales, mais dans ses secrètes nuances, dans les mœurs de ceux qui l’habitent, dan ? tous ces détails qui vont se fondre dans la grande harmonie. Elle sait, n’en doutez pas, comment apparaît la nature à toutes les heures et à toutes les saisons, dans son travail éclatant de fécondité et dans son doux déclin d’automne, aux douteuses lueurs du crépuscule et à l’heure chaude, lourde, du gros du jour, — par quelles teintes passe la verdure des champs, depuis le vert « cru, énergique, hardi » du printemps jusqu’au vert orangé et rougissant des fins d’été. Aussi les paysages de Mme de Gasparin sont-ils pleins d’expression et de couleur, abondans et nuancés, — trop abondans quelquefois, trop riches de détails. Ils ont l’accent de la vie et de la réalité. Voyez vers la montagne, à mi-hauteur, cette petite maison tout encadrée de sapins, avec un verger planté de pommiers, de poiriers, et des champs de luzerne ou de pommes de terre ! Devant la maison, quatre sources versent leurs eaux dans une auge travaillée par la vétusté, encombrée de mousse, et ces sources ont donné leur nom au petit domaine. Tout est solitaire. Les habitans ne descendent guère dans la plaine ; l’enclos leur fournit des occupations suffisantes. « Il y a un moment de transfiguration pour le petit domaine, c’est le mois de mai, alors que le verger, serré dans son cadre noir, fleurit comme un bouquet de mariée. Eh bien ! cette blancheur immaculée m’attriste un peu ; je préfère l’enclos au gros de l’été, quand chaque culture moire le terrain de sa couleur particulière, ou bien encore en automne, au moment où les poires sauvages se dorent, où les petites pommes se teignent de pourpre, où les récoltes s’entassent sous l’auvent de la grange. Une fumée s’élève proche de la maison dans une place abritée ; sous la hutte tapissée, de bottes de chanvre brille un feu clair, la mère bat les javelles avec ses filles à grand bruit. Ce bruit est le seul à peu près qu’on entende. » Et dans une succession de peintures le clos apparaît, étincelant au mois de mai, enveloppé de frimas en hiver, et toujours calme.

Suivez d’un autre côté l’intrépide voyageuse dans une de ses ascensions, en pleine montagne, aux lueurs incertaines du jour naissant : on tombe dans un campement de bohémiens rangés autour d’un feu ; les figures se détachent dans des vapeurs pourpres, et forment un tableau saisissant. « À cette heure, poursuit l’auteur, nous avons franchi la forêt ; les horizons élargis apparaissent dans leur splendeur ;… la lune, seule reine, verse sa lumière tranquille sur le bas pays qui va se déroulant jusqu’aux Alpes. On ne voit ni