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vet. » Mme de Gasparin n’est point évidemment une puritaine de cette famille ; elle n’a plus même l’ardeur agressive et l’humeur de propagande qu’elle avait dans ses premiers écrits. Autrefois elle passait en distribuant des bibles, et quand elle plaçait un catholique dans ses histoires, ce malheureux catholique avait assurément le rôle déplaisant et ingrat. Aujourd’hui elle s’est apaisée, et moralement on pourrait dire, d’un autre côté, qu’elle tend à se dégager du formalisme de sa propre église. Il reste toujours cependant la note criarde et monotone dans la symphonie, l’accent d’un méthodisme obstiné.

C’est Mme de Gasparin qui dit quelque part : « Restons chrétiens dans une conversation qui n’a pas le christianisme pour exclusif objet ;… parlons en chrétiens de ce qui est autre chose que Christ, des arts, de la philosophie, de la politique ; de sujets bien moins relevés, de notre jardin, de notre ferme, de notre verger ! » C’est là justement ce que je veux dire : Mme de Gasparin reste protestante, et le laisse voir en parlant de son jardin : elle s’arrête en pleine montagne pour chanter un psaume ; elle interrompt l’analyse d’une situation qui est tout près de devenir un drame pour se livrer à quelque effusion biblique. Ses petits personnages sont invariablement couronnés de l’auréole des saints, ou travaillent consciencieusement à conquérir leur couronne. Lisette, la vieille Lisette d’un de ses contes, l’honnête fermière du Jura, est une « penseuse, » une raffinée de la vie spirituelle, qui parle de Jéhovah le terrible, du péché, et qui a des songes mystiques. La jeune fille du clos des sources, Marguerite, a la tête perdue et dépérit parce qu’elle a commis le péché irrémissible, parce qu’elle a résisté à Dieu. La manière habituelle de l’auteur enfin, cette manière semi-poétique, semi-religieuse, pourrait se résumer, ce me semble, dans cette phrase de la description d’une promenade sur le lac de Côme : « Nos bateliers debout, l’un à l’arrière, l’autre à l’avant, donnent à la nef une impulsion égale. Nous chantons la barcarolle italienne, le vieux cantique de Luther, l’air magnifiquement désespéré de Stradella. » Et c’est ainsi que les récits de Mme de Gasparin deviennent facilement des histoires édifiantes, que ses ingénieuses études morales se changent en sermons, et que ses paysages eux-mêmes, si abondans et si colorés, sont envahis par cette teinte prévue, discordante et factice, — factice, bien entendu au point de vue de l’art. Une imagination romanesque et une âme puritaine se livrent dans ces pages un perpétuel combat. Quelquefois l’imagination a l’air de l’emporter et s’abandonne à de capricieuses audaces ; mais aussitôt la conscience religieuse se redresse, comme si elle avait laissé trop de liberté au talent, et vient mettre le signe calviniste. De là une certaine affectation jusque dans la sincérité, une certaine recherche