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laborieusement subtile, une certaine tension d’humeur et d’intelligence. Je n’y vois pas seulement pour ma part le faible d’un esprit distingué ; j’y vois plutôt l’expression d’un phénomène moral. Toute foi relativement nouvelle est le prix d’un grand effort, d’une victoire sur une foi ancienne, et longtemps encore après la victoire elle porte dans toutes ses manifestations la marque de cet effort d’où elle est née, par lequel elle continue à s’affirmer comme doctrine indépendante et distincte. Sans mettre en cause la valeur religieuse des deux croyances, on pourrait dire que le catholicisme, religion ancienne et de tradition, est plus souple dans sa manière de considérer la nature morale et de traiter avec elle, et que le protestantisme laisse dans les esprits la fixité, la rigidité d’une foi nouvelle. C’est justement cette tension qui est visible chez Mme de Gasparin, qui se manifeste dans les préoccupations de son intelligence, jusque dans ses gaîtés, dans ses velléités d’humeur enjouée et facile, dans le mouvement et le bruit qui remplissent les pages des Prouesses de la bande du Jura plus que tous les autres ouvrages de l’auteur.

Ceci en effet, pourrait-on dire, est un livre de bonne humeur aussi bien que de bonne foi. Il y a de la gaîté, du bruit, de l’éclat, de la verve, de la liberté ; seulement il y a une singulière confusion : la plaisanterie ne laisse pas de sentir l’effort, les saillies sont peut-être quelquefois un peu quintessenciées, et le titre lui-même, ce titre simple et bizarre, est d’une originalité un peu cherchée. Que cache-t-il donc, ce titre poétiquement tapageur de Prouesses de la bande du Jura ? Simplement le récit d’une série d’excursions faites en bonne et aimable compagnie, quelque chose comme un train de plaisir d’été ou d’automne, bourdonnant et rapide, comme une débauche d’honnêtes gens saisis de l’humeur voyageuse. Vous souvenez-vous de cette vieille pièce du vieux Ronsard, les Bacchanales, ou folastrissime voyage d’Hercueil près Paris, dédié à la ioyeuse troppe de ses compaignons ?

Amis, avant que l’aurore
Recolore
D’un bigarrement les cieux,
Il faut rompre la paresse
Qui vous presse
La paupière sus les yeux.

Io ! i’entends la brigade,
J’oy l’aubade
De nos compaings enioués,
Qui pour nous esveiller sonnent
Et entonnent
Leurs chalumeaux enroués…

Je ne sais pourquoi cette vieille poésie me revient à l’esprit.