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cières deviennent de jour en jour plus impopulaires ; à l’intérieur, on éprouve une sorte de malaise moral contre lequel l’esprit public réagit en inclinant visiblement et progressivement vers l’opposition.

Nous n’insisterons point sur la répugnance que le pays éprouve pour les expéditions lointaines ; nous n’avons plus à parler du Mexique. Sur ce point, l’évidence frappe tous les yeux. L’opinion publique se montre de jour en jour plus contrariée de voir la France engagée dans une entreprise qui n’est point dans le courant de nos intérêts traditionnels, et qu’elle n’avait ni prévue ni voulue. L’opinion, publique considère l’affaire mexicaine comme une surprise qui lui a été faite par l’initiative gouvernementale. Ce qu’il y a de plus importun dans une telle affaire, c’est son inévitable et coûteuse durée. Ce n’est point là une de ces aventures d’où l’on sort par un coup brillant et rapide. Non : nous nous sommes chargés au Mexique d’un rôle de création ; il faut que nous réussissions à y fonder un nouvel état social et politique. Ce n’est qu’après avoir poussé jusqu’au bout une œuvre de si longue haleine que nous pouvons être dégagés ou par le succès ou par l’échec. Et cette œuvre, nous la poursuivons à côté d’un voisin nécessairement malveillant. L’antagonisme des États-Unis contre la création d’un empire au Mexique est une des données certaines du redoutable problème dont nous avons pris à tâche de chercher à grands frais la solution. Si nous parlons de l’antagonisme des États-Unis, ce n’est pas que nous redoutions de la part de la république américaine des hostilités ouvertes et directes. Les États-Unis, pour frapper nos efforts d’impuissance, n’ont pas besoin de faire la guerre à propos du Mexique ; ils n’ont qu’à répéter les protestations morales que leur inspirent la forme de leur société politique et leur position géographique. Il leur suffit de rappeler de temps en temps dans leur congrès, dans leurs assemblées populaires, la doctrine de Monroe, et de laisser la France se consumer en stériles dépenses. Ils ne manqueront point à cette conduite. La petite agitation qui s’était produite aux États-Unis à propos du Mexique, après la capitulation des confédérés, s’est bien calmée ; cependant, au milieu des fêtes qui viennent d’être données au général Grant par la ville de New-York, les allusions mexicaines n’ont pas fait défaut. Le sénateur Chandler, à la fin de la soirée, haranguait la foule réunie devant l’hôtel d’Astor ; le dernier mot qu’il jeta aux masses fut celui-ci : « Je demande que l’on applique la doctrine Monroe ; ce continent n’est pas assez grand pour contenir à la fois une république et un empire. » Voilà une parole qui nous reviendra souvent de l’autre côté de l’Atlantique, et qui sera longtemps pour nous un triste souci.

Il est naturel qu’au milieu des défiances qu’inspirent les campagnes lointaines et de cette fatigue inquiète que cause une situation financière trop tendue, le pays commence à se chercher lui-même et favorise le réveil de l’esprit d’indépendance et de contrôle. Partout où l’on rencontre des causes d’incertitudes, des mécomptes et des signes de malaise, on commence à remarquer que les intérêts sont en souffrance dans la mesure même où la