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pouvait sans doute aviser à lui demander les fonds de retraite des corps non recrutés par l’appel ; mais une pareille disposition ne pouvait rétroagir sur le passé, elle ne devait s’appliquer qu’à l’avenir. Le texte de la loi qui a créé la caisse de l’armée était formel : la distinction entre les corps recrutés et les corps non recrutés par l’appel était nettement établie. La caisse de la dotation devait subvenir aux pensions de retraite des premiers de ces corps ; l’état demeurait chargé de subvenir aux pensions des seconds. Telle était la volonté expresse, telle la signification littérale de la loi. Cela est si vrai que jamais depuis la création de la caisse on n’avait songé à mettre à sa charge les pensions de la seconde catégorie ; si la caisse eût dû supporter cette charge, nous le demandons, est-il possible que le trésor eût oublié et perdu de vue pendant sept ans un tel débiteur ? Aujourd’hui on se ravise ; on est frappé de la prospérité et de l’opulence de la caisse ; on trouve que l’on a eu tort de ne pas lui imposer à l’origine le service de toutes les pensions militaires. On peut, sans examiner la question au fond, reconnaître que c’est le droit du gouvernement et de la chambre de modifier dans ce sens, en vue de l’avenir, la loi sur la dotation de l’armée. Soit : à l’avenir, la caisse fera deux services ; mais ce qui est incompréhensible, ce qui a frappé le public de surprise, c’est que l’on ait voulu transporter sur le passé l’action de la disposition légale que l’on arrêtait dans le présent ; c’est que l’on ait dit au même moment à la caisse de la dotation : « Désormais vous paierez les pensions des corps que ne recrute pas la conscription, et en vertu de ce principe qu’il est équitable que vous vous chargiez de ce service, vous rembourserez à l’état, comme arriéré, ce que ce service, qui vous est imposé à l’instant même, a coûté à l’état depuis que vous existez. » Nous le demandons : notre point d’honneur financier n’a-t-il point à souffrir d’un tel procédé ? Valait-il la peine, pour trouver 22 millions qui viennent équilibrer le budget, de recourir à une revendication pareille ? Il est certain que la caisse de la dotation n’était point débitrice des 22 millions qu’on lui réclame et qu’on lui prend. Il est impossible que le gouvernement ne s’aperçoive point de l’effet produit par cette singulière appropriation. Il peut être dur de se condamner à l’économie ; mais nous ne sachons pas d’économie qui puisse être plus pénible qu’une pareille façon de se procurer des ressources.

Cet état tendu des finances, en se prolongeant, produit un double effet sur le public. Le public sent d’un côté que ces fâcheux tiraillemens financiers sont la conséquence d’entreprises extérieures que le pays n’a ni conseillées, ni souhaitées ; d’un autre côté, il comprend qu’il ne peut trouver de sauvegarde contre les embarras et les dangers de tendances semblables que dans la vigilance qu’il mettra à pratiquer ses droits politiques et à fortifier le contrôle auquel l’initiative gouvernementale doit être soumise. De là deux ordres de conséquences qui se sont montrées dans la session, mais qui apparaissent plus encore dans le mouvement de l’opinion publique : les expéditions lointaines qui ont produit nos difficultés finan-