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ture, je prends mes sûretés en commençant par la placer sous la protection d’une science toute chrétienne. Ce n’est pas que j’ignore tout ce que dans les termes où l’exprime la philosophie orthodoxe elle peut encore soulever d’objections particulières et provoquer de doutes raisonnés. Ainsi un écrivain fort sérieux, déjà connu par un essai remarquable de philosophie originale, M. Charles Lambert, vient de publier un ouvrage où la critique le dispute à l’érudition, pour établir que la vie éternelle de l’Évangile devrait être entendue comme une abolition de la mort en ce monde[1]. Selon lui, l’idée biblique de l’introduction de la mort sur la terre par l’effet du péché, entendue littéralement par David, l’avait conduit à l’espoir d’un retour à l’immortalité par la destruction du péché. Cet espoir recueilli par le Messie, mais fécondé et réalisé par la pensée d’un sublime sacrifice, aurait été l’âme de la mission du Rédempteur, vainqueur en mourant du péché et de la mort, et ce serait là le résultat vingt fois prédit par lui en termes ambigus à ses disciples, et que saint Paul aurait annoncé, non plus seulement au peuple de David, mais aux nations, c’est-à-dire à l’humanité entière. Le savoir nous manque pour apprécier une interprétation que M. Lambert appuie sur une étude attentive des textes sacrés ; mais nous devons lui dire que son herméneutique serait aussi exacte qu’elle nous paraît neuve, qu’elle ne changerait rien à l’esprit réel du christianisme. Les religions ne sont pas comme les systèmes philosophiques. Ceux-ci, on est en droit de leur demander ce qu’ils ont voulu dire, et d’en fixer le véritable sens par une analyse rigoureuse des termes et des idées ; mais les religions, étant surtout du ressort de l’histoire, doivent être traitées historiquement. Il faut les entendre comme elles ont été entendues ; elles sont encore plutôt des événemens et des institutions que des doctrines. Quand l’enseignement dont le Nouveau Testament est le monument authentique aurait eu pour objet une sorte d’immortalité terrestre, que par une erreur assez étrange on aurait prise plus tard pour la destinée des âmes après la mort, cette grande méprise, engendrée par la nécessité d’accommoder les prédictions aux événemens, n’en serait pas moins elle-même un grave événement, le plus grave des événemens, et qui a influé sur le sort de l’humanité. C’est cette croyance-là qu’on appelle le christianisme, celui qui a été et qui est, si, comme vous le voulez, ce n’est pas celui qui aurait dû être. La plus savante exégèse n’est bonne que pour les esprits exigeans et curieux : elle intéresse à peine les masses, elle ne peut rien sur les faits accomplis. Un seul christianisme importe,

  1. L’Immortalité selon le Christ, 1865.