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cette base on ne construit rien. La méthode psychologique est la seule voie sûre pour arriver à la métaphysique, mais souvent elle n’y arrive pas. La psychologie parmi nous se ressent toujours de son origine ; elle a gardé de l’école écossaise une timidité systématique qui touche au scepticisme. Je le confesse pour moi et pour des philosophes qui valent mieux que moi, nous avons trop prudemment tenu à faire de la psychologie une science purement descriptive, et l’exposition des phénomènes de la conscience nous a suffi, au point de nous rendre indifférens aux lumières que projettent ces phénomènes sur l’être même qui leur donna naissance. Jouffroy s’est obstiné à circonscrire ses recherches en-deçà de l’être. Il décrit attentivement, supérieurement, les modes d’action de l’âme, et ne veut absolument pas savoir ce qu’elle est. Il se doute bien qu’elle est une chose simple et spirituelle, il admet volontiers qu’elle est immortelle ; mais ce n’est pas son affaire, ni celle de la science qu’il enseigne, et tout au plus veut-il bien accepter comme un fait de quelque valeur que l’esprit croit assez naturellement à son existence propre dans le présent et dans l’avenir. Cela du moins est un phénomène du moi. Il faut absolument sortir de cette impasse, et il me semble que nos philosophes contemporains commencent à y penser ; mais, à mon avis, ils n’y travaillent pas encore avec assez de hardiesse et de suite. Entre le scepticisme et le positivisme, qui les pressent, leur intérêt et leur devoir est de rendre à la science qu’ils professent les allures et les droits d’une science de la réalité des choses.

On nous permettra d’indiquer plusieurs des points de vue qu’il nous semble que la psychologie aurait à considérer pour mieux connaître la nature et la destinée de l’âme. Nous terminerons par la revue de quelques tentatives récentes en ce sens, et qui, bien qu’accomplies en dehors des écoles psychologiques, doivent leur donner à réfléchir.


IV

Nous ne venons pas certes chercher querelle au spiritualisme. Dans son expression ordinaire, il représente la vérité, quoiqu’il ne la représente pas tout entière ni avec une parfaite exactitude. Oui, l’homme est matière et esprit, ou plus simplement il a un corps et une âme, et ce sont deux choses différentes ; mais est-ce là tout l’homme ? Est-ce bien là l’homme, ce qui a ces deux choses différentes ? S’il les a, il n’est ni l’une ni l’autre, il est donc une troisième. Si elles ne sont que deux propriétés dont il soit le sujet, elles ne sont plus deux choses, deux substances. Et si elles sont