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pas un seul pas qui risquerait de sérieusement déplaire au prince Gortchakov : à ce sujet, on avait même à Vienne des assurances très positives. Enfin, et pour dernière raison déterminante, la Prusse avait, aux yeux des hommes politiques autrichiens, un mérite précieux dans la circonstance, et qui la distinguait très avantageusement des autres états de la confédération, beaucoup trop emportés : la Prusse reconnaissait les engagemens pris envers l’Europe en 1852 et entendait maintenir le traité de Londres !

C’était là en effet le langage qu’avait constamment tenu jusqu’ici M. de Bismark, non-seulement à Copenhague et à Londres, mais bien aussi à Vienne et à Saint-Pétersbourg : il demandait péremptoirement au Danemark le rappel de la constitution de novembre, mais il protestait toujours de son respect pour les stipulations de 1852. Bientôt cependant il entendit ne plus accorder ce respect qu’à terme, jusqu’au 1er janvier 1864[1] : si d’ici là la malencontreuse constitution n’était pas révoquée, « les puissances allemandes se considéreraient comme déliées de tous leurs engagemens envers le Danemark, y compris le traité de 1852. » Ainsi le déclarait-il le 12 décembre à lord Wodehouse, qui s’était arrêté deux jours à Berlin avant d’aller remplir sa mission auprès de Christian IX. Lord Wodehouse objecta qu’un pareil changement de la loi fondamentale d’un pays ne pouvait, dans tous les cas, se faire en un si bref délai, que, le rigsraad danois expirant sous peu de jours, il faudrait convoquer une assemblée nouvelle pour trancher une question aussi capitale. « Son excellence me dit (lisons-nous dans la dépêche du noble lord du 12 décembre) qu’il lui importait peu quelle assemblée abrogerait en définitive la loi ; il était toutefois convaincu qu’il serait nécessaire que le roi du Danemark se séparât de ses ministres actuels, et qu’un coup d’état serait la meilleure solution de la difficulté. Le fait était que l’Allemagne ne serait jamais en bons termes avec le Danemark aussi longtemps que les institutions démocratiques du Danemark seraient maintenues… » Ainsi le ministre prussien prétendait imposer un coup d’état à une monarchie voisine, lui faire changer des institutions entachées à ses yeux de démocratie ! « J’ai dit, continue lord Wodehouse, que je regrettais d’entendre ce langage, qui équivalait à une intervention dans les affaires intérieures d’un état indépendant, » et il pressa son interlocuteur d’indiquer les moyens d’un arrangement ; on lui répondit « que c’était non aux Allemands, mais aux Danois de les proposer. » Qu’on veuille bien admirer ici le machiavélisme constant de la diplomatie germanique, qui, tout en réprouvant l’un

  1. Dès que le cabinet autrichien eut donné carte blanche au comte Karolyi pour se concerter avec lui. (Dépêche de lord Bloomfleld, 10 décembre).