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conclure pour les cas où la folie existe seule sans complications.

Je vais plus loin ; je suppose que l’on ait trouvé une lésion organique constante dans tous les cas de folie, ou des lésions spéciales corrélatives aux différentes espèces : je demanderai si cette lésion peut être considérée comme le fait caractéristique, essentiel, de la folie, et si elle peut servir à en donner une idée quelconque. Quel rapport y a-t-il par exemple entre l’adhésion des méninges et l’aberration des facultés intellectuelles ? Le premier de ces phénomènes nous conduira-t-il à nous faire une idée plus exacte du second ? Je ne vois là qu’une liaison tout empirique entre deux ordres de faits hétérogènes, mais rien qui ressemble à une explication.

La folie est un phénomène essentiellement psychologique, de quelques accidens physiques qu’elle soit accompagnée. Les médecins le savent bien, car lorsqu’ils sortent des hypothèses pour donner une définition caractéristique de la folie, ils ne sont plus que psychologues. En voici un exemple. Il n’y a pas de médecin plus convaincu que M. Moreau de Tours que la folie a son siège dans une lésion du cerveau. Cependant, lorsqu’il cherche le fait caractéristique de la folie, il le trouve dans l’identité du rêve et du délire. Et en effet il n’est pas un seul caractère du rêve qui ne se rencontre dans la folie, et réciproquement : même incohérence dans les idées, mêmes associations fausses, mêmes raisonnemens justes sur des principes faux, rapidité extrême des sensations et des idées, exagération des sensations, transformations d’une sensation interne en objet externe, etc. Dans le rêve somnambulique, les analogies se multiplient encore ; le dormeur agit suivant ses conceptions erronées. Éveillez-le : s’il continue la série d’actions et de pensées que vous avez interrompue, c’est un fou. La folie est donc, suivant M. Moreau de Tours, le rêve de l’homme éveillé. Fort bien ; mais qu’est-ce qu’un rêve ? C’est un état de l’âme dont les conditions physiologiques nous sont inconnues. Définir la folie par le rêve, c’est donc en donner une définition psychologique, non physiologique.

J’en dirai autant de celle que donne un autre médecin très éclairé, le docteur Baillarger : celui-ci ramène la folie à un fait fondamental qu’il appelle l’automatisme de l’intelligence. Selon lui, la folie consiste précisément dans la suspension de toute action volontaire et dans l’entraînement fatal avec lequel les idées se reproduisent d’elles-mêmes sans être appelées. Dans l’état normal, ce même fait se reproduit souvent : nous sentons notre esprit traversé par des idées fortuites, accidentelles, qui rompent la suite de nos conceptions ; mais nous avons la force de les écarter pour suivre un certain ordre d’idées, ou, si nous nous y livrons, c’est avec conscience,