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collyre, me mutilant du titre qui me fait son égal ! » Dans cette lettre tout à fait confidentielle, Isidore s’efforçait de rassurer Jean et les amis de Jean sur les conséquences possibles de sa mission. « Comme la fumée se dissipe dans l’air, écrivait-il avec une emphase tout orientale, comme la cire se liquéfie au voisinage d’un brasier, ainsi vont se dissiper à mon arrivée ces ennemis de la vraie doctrine ecclésiastique, qui cherchent à inquiéter la foi des simples. » Il taxait aussi de « niaiseries » les plaintes et les argumens de Jérôme : c’était en un mot la lettre d’un complice et non celle d’un juge.

En effet, après son arrivée, il resta quelque temps à Jérusalem, dans l’intimité de Jean et de Rufin, complotant ensemble les mesures à prendre vis-à-vis de leurs adversaires. Quand tout fut arrangé, il annonça sa visite à Bethléem, où il revint jusqu’à trois fois. Son attirail et sa tenue en face de ces pauvres moines déguenillés, suivant le mot de Jérôme, furent tout à fait épiscopaux ; il affectait un air à la fois dévot et superbe : on eût dit un ambassadeur qui avait à régler les destinées d’un état. On le reçut au monastère avec la dignité qui convenait à ses habitans. Jérôme lui demanda d’abord la lettre que le patriarche avait dû lui écrire avant de le faire interroger : Isidore répondit qu’il ne l’avait pas, et qu’à Jérusalem on lui avait conseillé de ne la point remettre. Il lui demanda alors à voir ses instructions et en quelque sorte ses lettres de créance : « Un légat, disait-il, est tenu de justifier de ses pouvoirs. » Isidore s’y refusa arrogamment, et on fut obligé de passer outre aux explications. L’Égyptien avait la réputation d’un théologien habile, et Jérôme crut pouvoir aborder les points de doctrine qui le séparaient de Jean de Jérusalem ; mais Isidore, esquivant les réponses, se retrancha dans cette argumentation : « comment pouvez-vous prétendre que Jean soit hérétique, quand vous avez communiqué avec lui ? — Mais, répliquait Jérôme avec feu, je l’ignorais alors, j’ai été éclairé depuis par les lettres du vénérable évêque Épiphane. D’ailleurs Jean n’était peut-être pas encore hérétique quand je communiquais avec lui. Vous devez savoir que c’est la maladie qui fait le malade. » Cette petite épigramme adressée à l’Hippocrate des chrétiens ne changea rien à ses mauvaises dispositions, et Isidore ne sortit point de ce cercle vicieux : « vous avez communiqué avec lui, donc il n’est pas hérétique, ou vous êtes hérétique vous-même ; à moins que vous ne vous plaigniez faussement, et que vous ne soyez un calomniateur. » Les moines sentirent qu’ils étaient condamnés d’avance, et le départ d’Isidore les laissa dans la plus grande consternation.

La paix sortit cependant du sein même de la guerre, et les artifices de Jean ne servirent qu’à l’envelopper dans les rets qu’il avait