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Renonçant au monde sans le quitter, il employa le reste de son immense fortune à construire des églises et des hôpitaux : toujours prêt d’ailleurs à soutenir l’intérêt des chrétiens dans les affaires du gouvernement, et toujours le fidèle correspondant de Jérôme. Le christianisme, en pénétrant dans le patriciat romain, ce qu’il fit surtout vers la fin du IVe siècle, y produisit des effets vraiment singuliers. Enrichies à l’origine par la conquête violente et plus tard par la spoliation organisée des provinces, ces grandes maisons, une fois chrétiennes, semblèrent n’avoir plus d’autre idée que de se rabaisser. On eût dit une sorte de talion qu’elles s’imposaient à elles-mêmes au nom d’une religion sortie du sein des pauvres et du rang des nations conquises. La pauvreté devient comme un but vers lequel elles marchent de concert : elles se hâtent, elles précipitent leur ruine avec autant d’ardeur qu’elles en avaient mis jadis à entasser leurs prodigieuses richesses. Suivant une expression énergique, empruntée au langage du temps, « leur opulence, si longtemps le fléau des pauvres, veut en être la mamelle, et leurs palais de marbre aiment à se transformer en hospices du Christ. »

Je ne parlerai point du désespoir de Paula ni de celui d’Eustochium : Jérôme jette un voile sur leur douleur, comme le peintre antique sur la face d’Agamemnon devant le sacrifice d’Iphigénie. Il nous dit seulement que Paula trouva dans la conduite de Pammacbius tout le soulagement qu’une mère pouvait attendre. Plus il donnait, plus il dispersait, plus ces cœurs brisés semblaient recueillir de consolations et de grâces.

Un rayon de soleil vint enfin percer la sombre nuit qui enveloppait les cœurs aux couvens de Bethléem. Marié dans sa quatorzième année à Léta, fille d’Albinus, Toxotius devint père. J’ai dit que ce fils unique de Paula avait nourri longtemps de vives rancunes contre le christianisme, qui lui avait enlevé sa mère ; mais il les abjura à la voix de la femme qu’il aimait. Léta était pourtant fille d’un païen, et plus encore d’un pontife des dieux païens. Toutefois Albinus ne mettait dans l’observation de son culte ni fanatisme ni intolérance. Sa femme, morte alors, avait été chrétienne ; elle avait élevé ses filles dans la religion chrétienne, et elles avaient épousé indifféremment des païens ou des chrétiens, mais les païens s’étaient successivement convertis. Ces mariages mixtes, que les théologiens du temps appelaient matrimonium impar, loin de déplaire à l’église, étaient un des objets de sa sollicitude. L’apôtre Paul les avait recommandés aux premiers fidèles en disant qu’il en naîtrait des saints, et l’incrédule Toxotius offrait de cette vérité un nouvel et mémorable exemple. Son union avec Léta fut menacée d’abord de stérilité. Après plusieurs fausses couches coup sur coup, la jeune femme fit vœu, sur le tombeau d’un martyr, que, s’il lui