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voirs. Ainsi s’expliquent à la fois et nos sympathies attentives et nos légitimes exigences.

Étudié à cette lumière, le mouvement poétique de l’heure présente ne manque pas d’intérêt. Il y a profit à rechercher ce que signifient la transformation des anciens genres et l’apparition de sentimens nouveaux. Le principe que nous venons de rappeler, et qui n’est en définitive que l’idéal même de notre siècle, remplit ici l’office d’un instrument de précision ; grâce à lui, les poètes peuvent se juger eux-mêmes, ils viennent du moins se classer tout naturellement par catégories diverses sous les yeux de la critique, dont la tâche se trouve bien simplifiée, Et d’abord voilà les vieilles lamentations écartées du premier coup. On ne répétera plus impunément que la situation est mauvaise pour les poètes nouveau venus, que l’inattention publique les décourage, que le matérialisme des mœurs va dispersant de jour en jour les auditeurs fidèles. Ceux qui rediraient ces litanies surannées nous déclareraient eux-mêmes combien leur vocation est factice. Ignorent-ils donc que le grand art est précisément une protestation, non en plaintes, mais en œuvres, contre la vulgarité du monde, et que la première tâche du vrai poète est de se créer son auditoire ? A part les époques si rares où le souffle de la patrie et de l’humanité emplit tout à coup une poitrine puissante et lui inspire des chants immortels, à part les jours privilégiés où l’élévation des sentimens publics soutient dans les hauteurs l’interprète de la pensée commune, ce n’est pas sur la foule que le poète doit compter. Rejetons les théories trop commodes qui rendraient l’artiste irresponsable. Quoi que le poète puisse emprunter à son temps, et il lui emprunte toujours beaucoup soit pour exprimer ses pensées, soit pour les combattre, il doit tout transformer dans son creuset. Son œuvre, en dernière analyse, n’appartient qu’à lui seul. Sans la sève originale et personnelle, sans une âme qui vibre sous la joie et la douleur, nulle poésie possible ; l’individu seul y met la flamme et la vie.


I

Parmi les poètes qui viennent solliciter aujourd’hui notre attention, en est-il beaucoup qui répondent à ce programme ? Ceux-ci, qui ont déjà donné leur mesure, se sont-ils renouvelés avec le mouvement continu du siècle ? Ceux-là, dont le nom est encore inconnu, nous révéleront-ils des accens inespérés ? Certes la volée est nombreuse, comme disait Etienne Pasquier, et si j’avais à composer l’anthologie de l’année 1865, je ne dédaignerais ni les fauvettes ni les sansonnets ; il y a très souvent des mélodies aimables là même où l’originalité est absente. Je me restreins volontairement à