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quelques noms, car c’est l’art même qui m’occupe encore plus que les personnes, et si les réflexions que m’inspire cette étude doivent être utiles, les écrivains que je suis obligé d’omettre en profiteront comme les autres. Parlant de quelques-uns, j’essaierai de m’adresser à tous. Les débutans avec leur jeune ardeur, les vétérans avec leurs tentatives nouvelles, tels sont les deux groupes que je veux interroger ; si quelques voix de femmes, comme il y a trente ans, s’élèvent çà et là au milieu de la mêlée, il faudra les entendre, et je suis assuré d’avance que la discussion en fera son profit. Nous ne sommes pas de ceux qui disent : Taceat mulier in ecclesia. Dans l’assemblée des poètes particulièrement, il y a des écoles subtiles et des écoles violentes ; la présence des femmes est souvent la sauvegarde du goût. Elles ramènent au sentiment, c’est-à-dire au fond même de la poésie, le chanteur enivré qui s’écarte, comme le joueur de flûte rappelait au ton naturel et humain l’orateur impétueux qui oubliait de maîtriser sa voix.

Ce que je cherche dans les poèmes des nouveaux venus, est-il besoin de le dire ? ce sont des accens originaux. Il y a de la grâce, de la facilité, des sentimens purs dans tel recueil nouveau, par exemple dans les Figures jeunes de M. Louis Ratisbonne ; mais cette élégance n’est-elle pas un peu précieuse ? Cette morale si honnête n’est-elle pas un peu banale ? J’adresserai presque les mêmes demandes à M. Achille Millien, auteur des Poèmes de la nuit. M. Achille Millien a de beaux élans qui ne durent pas ; il s’exhorte vaillamment à marcher, puis il s’arrête en route :

En avant ! c’est le cri qu’ont poussé tous les âges,
C’est la loi qui préside à la création,
D’aller ferme et viril au milieu des orages,
De marcher malgré tout vers la perfection.
Malheur à qui s’endort ! Honte à qui se repose
Et s’immole à vos pieds, inertes voluptés !
Toi, parmi les écueils qu’un sort jaloux t’oppose,
Va, lutte, cherche, monte aux sereines clartés !


Voilà de brillantes promesses assurément ; après de tels préludes, pourquoi donc de si maigres mélodies ? La nuit a sa poésie, ses extases, ses tableaux ténébreux ou consolans ; si le crime rôde dans l’ombre, la justice veille ; si la misère est plus cruelle pendant les heures noires, la charité y apparaît plus douce. M. Millien, en choisissant ce sujet, ne paraît pas en avoir soupçonné les richesses. L’Allemagne, il y a un quart de siècle, a entendu les chants d’un Veilleur de nuit, qui n’avait pris son sujet qu’au point de vue, politique et qui, dans ce cadre restreint, avait déployé bien autrement de vigueur. La nuit qu’il voulait peindre, c’était la société assoupie dans les ténèbres, et le veilleur, en parcourant les rues de la cité,