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veilleuse destinée de la flûte amoureuse ! elle avait chanté d’abord la passion d’un seul, elle chanta ensuite le monde pastoral ; admise enfin au séjour des dieux avec celui qui la maniait si bien, elle fut désormais l’emblème de la vie universelle jusqu’au jour où le pilote grec dont parle Plutarque entendit sur les rivages de Sicile d’immenses lamentations, et, interrogeant de loin les gens de la côte, reçut d’eux cette réponse : « Le dieu Pan est mort. » C’est ce dieu trépassé aux premiers temps de l’ère chrétienne que M. André Lefèvre essayait de ressusciter poétiquement, les trois choses que représente l’antique légende étant précisément celles qui forment le fond de sa poésie. Quelles choses ? L’amour, les champs, et enfin « le grand-tout, la nature vivante ; ce mouvement infini dont l’humanité orgueilleuse cherche vainement à s’isoler. » D’après cela, si je comprends bien, c’est par orgueil que l’homme se distingue du mouvement fatal du cosmos. En se confondant avec la vie universelle, il rentrerait dans la loi. Cette manière pieuse de prêcher le panthéisme ne manque pas d’originalité. Je l’ai dit pourtant : panthéisme ou non, peu m’importe le système, pourvu qu’il y ait chez le poète un candide enthousiasme. J’ouvre le livre, j’écoute la flûte ; oh ! la grave musique ! C’est une langue habilement cadencée qui place désormais M. Lefèvre parmi nos versificateurs les plus experts, et toutefois, malgré le charme de quelques beaux vers, je me sens envahi par le froid. M. Lefèvre chante les amours de Jupiter et de Léda avec un mélange de peintures sensuelles et d’interprétations philosophiques ; il chante la nature extérieure, il chante le mouvement éternel des mondes dans l’espace infini, et sa passion a beau appeler une sorte d’impudeur à son aide, comme dans la scène de Léda, son panthéisme a beau découronner l’humanité : on n’éprouve pas, en le lisant, ces acres sensations qui sont la poésie du désespoir. C’est qu’en effet il n’y a ni révolte ni désespoir dans la pensée de l’auteur. Il s’installe complaisamment dans le néant, ou plutôt il lui suffit que le néant n’existe pas au point de vue métaphysique ; il lui suffit que la matière se transforme perpétuellement dans le creuset de l’immense univers, et cette matière toujours renaissante, cette matière qu’il ose appeler l’être, le console de tout ce que sa philosophie lui enlève.

La science étreint l’être avec ses fortes mains.
Elle a, fouillant la vie, en de profonds chemins
Vers le néant osé descendre :
Rien n’est vide, et de tout elle a trouvé le fond.
Ô néant fabuleux ! mon foyer te confond :
Le bois brûle, il reste la cendre.

D’ailleurs, où tomberait un atome détruit ?
L’infini ceint le monde au loin ; rien ne s’enfuit.