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On ne perd pas un grain de sable.
Sous ses pas, sur sa tête, au ciel, à terre, en soi,
L’homme sent sourdement vivre je ne sais quoi
De solide et d’impérissable.

Ces vers sont la clé du recueil de M. André Lefèvre et l’explication de cette froideur glaciale que ne peuvent dissimuler tous ses efforts. Quand on lit ces choses-là en prose, on les prend pour ce qu’elles valent ; ce sont les erreurs d’un métaphysicien égaré, par sa dialectique. Le poète est un esprit d’un autre ordre ; il pense et il sent. À quoi bon exprimer en vers une philosophie quelconque, si ce n’est pour exhaler la joie ou la douleur que vous inspirent vos croyances et pour devenir ainsi l’interprète de vos frères en chantant vos impressions propres ? Ou bien l’auteur de la Flûte de Pan, célèbre ce néant de l’humanité comme un thème assez répandu aujourd’hui qui offrait matière à versification, ou bien, si telle est sa croyance philosophique, il n’en éprouve aucun sentiment qui vaille la peine d’être chanté. Dans l’un et l’autre cas, un juge impartial doit lui contester le titre de poète.

Cette impression de froid que tant de lecteurs ont ressentie, M. André Lefèvre semble vouloir l’effacer dans son nouveau recueil. Plus d’amours mythologiques subtilement interprétés, plus de philosophie abstraite, plus de cosmogonie du hasard ; c’est l’homme et ses passions que l’auteur essaie de peindre. L’écrivain a fait de réels progrès : pensées abstraites, tableaux du monde extérieur, il sait tout exprimer sans apparence d’embarras. Avec tant de ressources, d’où vient qu’il touche si peu ? Dans le singulier poème intitulé les Aventures de Ramon et de la Vierge aux yeux bleus, l’auteur met en scène les poursuivans de l’idéal. Dans Julie et Trébor, il raconte un drame intime, un drame de famille, les luttes de la foi tyrannique et de l’amour impatient du joug, la foi étant représentée par une mère, l’amour par une jeune fille. Enfin, dans le Départ d’Ixion, il chante le roi des Lapithes devenu amoureux de Junon et montant au ciel pour la conquérir, vieux symbole rajeuni à la moderne, image voluptueuse de cette lutte de l’homme contre Dieu qui se retrouve sous une forme plus sévère dans toutes les littératures. La Bible a peint le combat de Jacob avec l’ange ; violenti rapiunt illud, ont dit les mystiques chrétiens. Le Départ d’Ixion, comme Julie et Trébor, comme Ramon et la Vierge aux yeux bleus, nous montre donc le poète aux prises avec les sujets les plus grands, puisque le réel et l’idéal, la nature et la grâce, l’homme et Dieu, s’y trouvent en présenté. Eh bien ! quelle que soit l’habileté du style, quelle que soit même la témérité des doctrines de l’auteur, l’émotion est absente. Est-ce seulement un défaut de composition qu’il faut accuser ici ? Est-ce la longueur du