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Kleinschnellendorf : le roi entre en pourparlers[1] ; on lui propose pour les préliminaires un diplomate ; non, il veut un dignitaire de l’église. Il lui plaît, à cet ami de Voltaire, de se fier à un prêtre, à un certain comte Giannini, chanoine à la cathédrale d’Olmütz ; puis, — quand après deux ou trois semaines de chômage il lui convient à lui, Frédéric, de reprendre les négociations, — il envoie quérir l’homme d’église par un trompette et le somme de venir sur l’heure s’entretenir « secrètement » avec lui ! Ce singulier personnage semblait créé exprès pour ouvrir les yeux à l’Autriche, qui des leçons qu’effectivement il lui donnait ne comprenait pas toujours le premier mot.

De son temps, tous les jugemens de l’Allemagne sur Frédéric portaient nécessairement à faux, car il n’appartenait qu’aux âges qui l’ont suivi de l’expliquer. Ceux qu’il battait croyaient à ses « gros bataillons, » et personne ne savait que ses vrais « gros bataillons » étaient les idées nouvelles. Le grand Frédéric représentait l’époque qui commençait, c’était là sa puissance, et lui-même peut-être se méprit souvent sur sa supériorité, se croyant plus que les autres, tandis qu’il n’était simplement que plus avancé. Une des raisons pour lesquelles il eût été impossible à l’Autriche de se rendre compte de la vraie valeur de Frédéric, c’est qu’elle se serait infailliblement demandé comment le bon Dieu eût jamais permis à un pareil homme de devenir l’apôtre d’une doctrine juste ou saine. Pour elle, le « fléau de Dieu » seul se manifestait, et elle ne s’inquiétait guère de savoir « si le génie » pouvait ou non être « une de ses vertus. »

Or cet adversaire qui devait préoccuper l’Autriche incessamment pendant quarante ans s’était révélé dès le lendemain de l’avènement de Marie-Thérèse, et bien que de tous côtés elle rencontrât cette même influence néfaste, la menaçant tantôt sous une forme, tantôt sous l’autre, elle ne trouvait nulle part (pas plus à l’intérieur qu’à l’extérieur) un appui ferme sur lequel elle pût compter dans son œuvre de résistance. Rien ne paraissait plus tenir ensemble[2] le jour où se rompit le lien naturel de tant de populations et de pays divers. Avec l’empereur s’éteignait l’empire, depuis si longtemps héréditaire dans la maison des Habsbourg, et la Hongrie et la Bohême ne restaient maintenues sous le sceptre de l’Autriche qu’en vertu de la succession féminine établie dans la récente pragma-

  1. Voyez les si intéressans rapports de Pfütschner dans les archives d’état de Prusse et les rapports et lettres du comte Giannini.
  2. « Pur troppo si prevede la separazione di si vasta monarchia che da se medemisa, mancato il capo, non potia reggersi, » dit Zeno, renvoyé de la république vénitienne à Vienne, lorsqu’il apprend la mort de l’empereur Charles VI.