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fut à Marie-Thérèse. Rien ne lui restait… qu’elle ! Heureusement elle le comprit d’inspiration, ce qui sauva tout. Elle avait vingt-trois ans, et, avec une beauté incontestable, possédait ce qui dépasse toute beauté, le charme. Nul ne lui résista jamais, et c’est à cette conscience de ce qu’elle vaut par elle-même que la rivale de Frédéric II doit d’être si souvent sortie victorieuse de complications politiques auxquelles aucun homme politique ne savait trouver une issue. La lutte entre ces deux forces n’est d’un si haut intérêt que parce que chaque combattant y apporte tout ce qu’il est. Frédéric ne domine que par ce qui le distingue de tout le monde, par son individualité intelligente et par cette foi dans l’esprit humain que ne confessait aucun de ses contemporains germaniques ; Marie-Thérèse, à ce duel interminable, apporte son âme, et ne se tire d’affaire littéralement qu’à force d’être. La puissance qui prévaut en elle, c’est elle, et partout où elle fait porter son individualité sur les hommes ou sur les choses, elle réussit. De là son fameux appel aux Magyars à Presbourg, un coup d’inspiration désapprouvé par tous ses ministres, et qui, pour les fortes têtes qui croient que la grande politique s’apprend, pour ceux qu’elle-même appelait plus tard nos vieux de la chancellerie[1], n’est pas une excentricité moindre que celles dont se rendait coupable le roi de Prusse. « Je suis pleine de cœur, » dit un jour la reine dans ce joli français qui était partout de cour il y a cent ans, et « c’est sous ce signe » qu’elle sait vaincre. « Être tout plein de courage, » c’est la devise de sa jeunesse ; « être triste, mais jamais abattue, » c’est celle de la fin de sa vie. Au caractère assez vaillant pour ne jamais se laisser abattre, au cœur assez noble pour ne défaillir devant aucune infortune, on doit cette soudaine résolution de se réconcilier avec les Hongrois, quand rien ne paraissait plus difficile que cette réconciliation, et quand rien autre ne pouvait pour le moment rétablir la situation à l’intérieur. C’était alors, comme cela s’est plus d’une fois vu depuis, sur le désaccord des peuples autrichiens avec l’Autriche que s’appuyaient les ennemis du dehors pour menacer la maison de Habsbourg. Pour la première fois depuis plusieurs siècles, la couronne de Hongrie se séparait de la couronne impériale, et pour faire un empereur allemand de François de Lorraine la fille de Charles VI avait besoin à la lettre de tout le monde, mais surtout de Frédéric de Prusse. L’électeur de Bavière s’entendait avec le roi de Pologne Auguste de Saxe, et Frédéric prêtait à tous deux un nonchalant soutien en attendant de vendre son vote

  1. Lettre à son beau-frère Charles de Lorraine (janvier 1742) lors de la campagne de Prague, et où elle le prie d’envoyer « tous les deux jours une relation allemande pour nos vieux de la chancellerie. »