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le judex curiœ d’alors, le comte George Apponyi. Il devait faire part à ses compatriotes de ce qu’on venait de décider à Vienne, et leur apprendre quelle place la constitution de février leur réservait. Le silence était profond ce jour-là, comme il l’était cette fois encore, le 6 juin 1865, au moment où le roi s’apprêtait à parler ; mais l’expression des figures, combien autre ! Tout alors portait l’empreinte d’une inquiétude méfiante, tandis qu’aujourd’hui, sous la gravité orientale des physionomies, on sentait comme un frémissement d’espoir mal contenu. Aussi, quand le primat dit ce que la Hongrie attendait de son chef, et qu’il promit tous les cœurs de ses sujets au prince qui voudrait garantir leurs droits, comme la flamme jaillit et comme les eljens éclatèrent ! On eût dit que chaque cri montait sur des ailes de feu.

Marie-Thérèse demeure tellement le type de l’idée monarchique austro-hongroise, que son nom vint se placer tout de suite sur les lèvres du cardinal-primat. Ce petit vieillard, surchargé d’années et d’honneurs ecclésiastiques, aurait eu en temps ordinaire de la peine à se faire entendre à dix pas de distance, et cependant, porté par sa voix, toute cassée et chevrotante qu’elle fût, le rappel à la promesse d’autrefois, le moriamur pro rege nostro, arrivait à toutes les oreilles ; remplissant toutes les âmes du souvenir de Marie-Thérèse. Après le discours du prélat, le silence devenait plus profond, plus intense en quelque sorte : on eût dit que les yeux écoutaient. Les premières paroles royales firent déjà bon effet, car l’accent hongrois de François-Joseph est, au dire des plus difficiles, quelque chose de rare et de charmant. C’est plus qu’il n’en fallait pour mettre en joie les principaux meneurs d’une nation pour qui l’espérance était devenue une nécessité. Aussi le succès de la harangue royale fut-il complet, et, je le répète, aucun de ceux qui ont vu François-Joseph à la sortie de la grande salle du château de Bude ne sera tenté de jamais associer le mot trop tard avec le souvenir de la visite à Pesth. Si à l’arrivée du roi il n’y avait eu que l’expression hospitalière due à celui qu’on invite chez soi, à la réception officielle il y avait enthousiasme.

Le discours du 6 juin 1865 passe aux yeux des juges les plus compétens pour un chef-d’œuvre de langue hongroise, écrit, disent-ils, dans un style qui contraste magnifiquement avec le jargon de chancellerie, et qui rend presque indubitable l’origine qu’on lui assigne : on l’attribue à George Maïlath et au comte Maurice Esterhazy. Le mérite évident de ce discours est, sous une forme chaleureusement sympathique pour les Hongrois, de ne promettre rien que ce qui se peut, que ce qui se doit tenir. S’il y avait la moindre utilité à commettre cette indiscrétion, il ne serait peut-être pas difficile de nommer un ministre allemand auquel, avant de partir pour