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Pesth, François-Joseph l’aurait communiqué, et qui n’y aurait rien trouvé qui ne fût à louer sans réserve.

Dans ce premier contact avec la Hongrie, le souverain s’était trouvé vis-à-vis du pays légal ; c’est aux représentans de ce que les Anglais appellent les governing classes que le roi avait affaire au château de Bude. C’était déjà beaucoup, mais non pas tout. Restait le public. Au concours agricole, à la régate sur le Danube, aux fêtes dans le Margarethen-Insel, aux courses sur le Rakosfeld, partout où le roi se montra, il fut accueilli avec le même enthousiasme, parlant lui-même à chacun, se souvenant de chacun[1], n’évitant personne, se mêlant à la foule, et nulle part accompagné, nulle part enfermé par cette éternelle suite qui intercepte si savamment toute franche communication entre les nations et les princes. D’autorité, je le redis, pas de trace : c’était à se demander où avait passé la garnison, car à peine voyait-on un uniforme dans les rues de Pesth ou de Bude, Tout concourait ainsi à donner un plus grand caractère de spontanéité à la réconciliation populaire qu’allait consacrer la journée du 7 juin.

Le soir de ce jour, le roi tenait Gala-Tafel à Bude. Les invitations avaient été distribuées sans aucun égard aux conventions de cour, et les opinions, les rangs les plus divers avaient leurs représentans autour de la table royale. La nuit tombait à peine, que l’on voyait déjà une longue ligne de feu se dérouler des quais de Pesth et traverser la rivière sur le pont suspendu qui unit les cités sœurs. Les bourgeois de Pesth-Ofen, les étudians, « tout le monde enfin » offrait au roi de Hongrie une marche aux flambeaux. On ne peut se figurer une ville plus magnifiquement située que Buda-Pesth, comme l’appellent les Magyars, ou Pesth-Ofen, comme on dit en allemand. Je me sers à dessein du double nom, parce que dès qu’on parle de sa beauté, c’est à la cité double qu’il faut en revenir. Ce sont ses deux moitiés qui la font si belle. A gauche, en arrivant de l’ouest, s’étendent les larges quais de la ville moderne ; à droite s’élève le Blocksberg, dominant Bude, qui est bâtie à mi-côte, et marquant la place où le Turc a régné en maître. Entre les hauteurs de la ville et de la forteresse se niche une bourgade habitée par les Raizen[2], où l’escalier, — l’échelle plutôt, — fait métier de rue, et où chaque figure trahit son origine orientale. Séparant les deux moitiés de la cité, vient le « fleuve d’or, » le Danube, roulant avec une lente majesté ses ondes silencieuses et

  1. « Où avez-vous donc été depuis dix-sept ans qu’on ne vous a plus vu ? demanda le roi avec un sourire au comte Giula Andrasy. — J’en ai passé une dizaine en exil, » répondit le comte.
  2. Dans les anciens diplômes latins, on nommait les Serbes toujours Serbi et Rasciani ; aujourd’hui encore on nomme la colonie serbe d’Alt-Ofen Heut Endre und Raitzen.