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et fières de dépasser la limite où leurs devanciers s’étaient arrêtés, en 1858. C’était là, comme le remarque le baron Gros dans sa correspondance, une singulière campagne diplomatique, une campagne sans précédens. Si le doge de Gênes, en se voyant à la cour de Louis XIV, a pu exprimer un étonnement qui est devenu historique, le baron Gros avait bien autrement lieu d’être, surpris de se voir en pareil équipage, à la tête d’une troupe armée, et en route pour Pékin. Quelle aventure dans la carrière d’un diplomate ! Mais il n’y avait pas à hésiter. La saison était avancée : il fallait agir au plus vite ; chaque journée, chaque heure était précieuse ; la situation exigeait que l’instrument de paix demeurât à portée de l’instrument de guerre, et que le traité fût toujours au bout du fusil. L’ambassadeur devait donc marcher du même pas que le général, en tenant dans ses mains patientes la branche d’olivier, à laquelle la mauvaise foi, l’indécision ou l’ignorance du cabinet de Pékin avaient arraché déjà tant de feuilles, mais qui n’était pas encore complètement brisée. Voilà pourquoi, au lieu d’attendre dans sa résidence officielle de Tien-tsin l’exécution des promesses de Kouei-liang, il avait dû accompagner le corps expéditionnaire, dont on ne pouvait plus retarder les opérations sous peine de compromettre absolument le succès de la campagne. De son côté, et par les mêmes motifs, lord Elgin suivait la colonne anglaise, commandée par le général sir Hope Grant.

Les alliés campèrent, pour leur première étape, au village de Pou-kao, à 10 kilomètres de Tien-tsin[1]. Le lendemain, 12 septembre, le baron Gros reçut la dépêche suivante :


« Tsaï, prince de la famille impériale, aide-de-camp de l’empereur, et Mouh, membre du grand conseil et président du bureau de la guerre, tous les deux commissaires impériaux, ont l’honneur de faire connaître à votre excellence qu’ils ont appris par une dépêche urgente de Kouei-liang et de

  1. Quelques indications topographiques sont indispensables pour bien faire comprendre les mouvemens des troupes alliées. Tien-tsin est à 50 kilomètres environ à l’ouest de l’embouchure du Peï-ho et à 134 kilomètres de Pékin, qui est situé dans la direction du nord-ouest. Voici l’itinéraire de Tien-tsin à Pékin avec le calcul des distances entre chaque point :
    kilomètres
    De Tien-tsin a Pou-kao 10
    De Pou-kao à Yang-tsin 19
    De Yang-tsin à Tsaï-tsin 20
    De Tsai-tsin à Ho-si-hou 25
    De Ho-si-hou à Ma-te-hou 18
    De Ma-te-hou à Tong-chaou 25
    De Tong-chaou à Pékin 18


    Le fleuve Peï-ho arrose la plaine entre Tien-tsin et Tong-chaou ; les jonques peuvent le remonter jusqu’à cette dernière ville. Tong-chaou est relié à Pékin par un canal et par une chaussée en dalles de granit.