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seule vertu d’un air subtil qui s’appelle inspiration et par le seul attrait d’une effluve magique qui s’appelle sympathie. Je n’ai rien dit de plus en toute ma carrière, et dans ces quelques personnages vous pouvez reconnaître les expressions les plus générales possible de mon inspiration, expressions auxquelles il m’a plu de donner des figures vivantes en vrai poète que je suis, afin d’épargner à ceux qui seront assez sages pour me comprendre l’ennui d’une allégorie trop transparente et de donner au moins un divertissement à ceux qui ne me comprendront pas, car ma muse n’est pas une pédante ni une logicienne d’école : c’est un enfant de la vie et de la nature, et ce n’est point par des abstractions qu’elle instruit, mais par des inflexions de voix, par des sourires, par la musique légère ou grave de ses paroles, par le rhythme vif où lent de sa démarche. »

N’est-il pas vrai que la Tempête, ainsi interprétée, forme le plus beau des frontispices pour les œuvres de Shakspeare, frontispice d’autant plus précieux que l’artiste qui l’a gravé est le poète lui-même ? Mais cette interprétation n’est peut-être pas exacte ? Exacte ou non, elle sort si naturellement de la lecture de la Tempête, elle s’en échappe si spontanément et avec si peu d’efforts, elle est si bien d’accord avec le caractère particulier de cette pièce et le caractère général de l’œuvre de Shakspeare, qu’elle conserve dans l’un ou l’autre cas la valeur allégorique que nous lui avons assignée. Ainsi peu importe à la rigueur que Shakspeare n’ait pas eu les pensées que nous lui prêtons, que cette synthèse si nette et si claire de son génie qui ressort de la Tempête soit un pur effet du hasard, ou qu’il l’ait exprimée d’une manière inconsciente, sans bien savoir ce qu’il faisait, puisqu’elle y est si apparente qu’il ne faut même pas d’esprit pour l’y découvrir.

Mais cette allégorie synthétique, Shakspeare a voulu réellement la faire, et il n’a pas voulu faire autre chose. Pour première preuve de ce que j’avance, je ferai remarquer que la Tempête est une conception purement personnelle, dont la donnée et les élémens principaux ont été pris par le poète en lui-même, rien qu’en lui-même, et qu’elle est, après le Songe d’une nuit d’été, la plus entièrement subjective des œuvres du poète. Nous connaissons les matériaux d’où Shakspeare a tiré ses autres drames ; mais jusqu’à présent les élémens de la Tempête sont restés introuvables, à moins qu’on ne veuille appeler de ce nom les innombrables détails poétiques de mœurs sauvages, de phénomènes naturels exotiques, tirés de ses lectures des voyageurs contemporains. Le roman italien dont le poète Collins, déjà fou, mentionna l’existence sans en pouvoir indiquer le nom à l’historien de la poésie anglaise, Warton, reste en-