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Boïeldieu, dans cette importation du genre, joue un rôle considérable. Jean de Paris au lendemain de la chute de l’empire, plus tard et surtout la Dame blanche, sont évidemment les produits d’une période nouvelle, d’un art qui, même de loin, cherche à se rattacher au mouvement des esprits. On en finit avec la comédie à couplets ; la forme du vaudeville étendu, illustré, ne convient plus aux besoins du moment. On avait Joseph et Stratonice, c’est-à-dire quelque chose comme l’opéra sérieux ; on avait le Prisonnier, Une Folie, Maison à vendre, le Déserteur, c’est-à-dire la petite comédie ornée de musique : on n’avait pas encore l’opéra-comique moderne. A la chansonnette, expression prosaïque et bourgeoise de l’esprit français, succède avec Boïeldieu la romance, écho plus relevé de notre histoire, souvenir chevaleresque des croisades, aimable et charmant héritage des temps de galanterie, de courtoisie et de gay sçavoir. Romance et romantisme, deux mots de pareille origine, et qui pour un musicien de cette époque pouvaient bien signifier même chose ! De cet accouplement naquit le troubadourisme, et s’il y a du Walter Scott, et beaucoup, dans la Dame blanche de Boïeldieu, on peut sans crainte avancer que la littérature de la fin de l’empire a quelque peu déteint sur la musique de Jean de Paris.

Un homme qu’on me paraît trop oublier aujourd’hui avait cependant précédé Boïeldieu dans ce pays du sentimental et du conte de fées : je veux parler de Nicolo Isouard, l’auteur de Cendrillon et de Joconde. C’était un Italien de Malte, un élève du Napolitain Guglielmi. Plume coulante, imagination de premier mouvement, la veine généreuse de l’opera buffa circule dans son œuvre et la colore, les idées lui viennent sans qu’il les cherche, et comme elles lui viennent il les écrit. De là son naturel, son charme, l’agrément exquis de certaines mélodies de Joconde ; de là aussi ces défaillances de style, cet effacement de personnalité. On s’étonne qu’avec un bagage aussi distingué que le sien un artiste puisse occuper si peu de place dans la discussion. Weber remarque ingénieusement qu’en Allemagne, où ses ouvrages sont des plus goûtés, son nom n’a jamais eu la moindre notoriété. En France, cette obscurité relative est la même. A quoi tient-elle ? Peut-être à plus d’une raison. Il y a de ces noms confus et maladroits qui semblent prédestinés à l’oubli. L’auteur de Joconde eut cette male chance. Les uns l’appelaient Isouard, les autres Nicolo, quelques-uns Nicolo-Isouard, ou bien encore Nicolo de Malte. Impossible, à moins d’avoir étudié ses biographes, de s’orienter à travers ce dédale. Et d’ailleurs qu’importe ici le nom ? Facile, élégante, toute française, cette musique n’est originale que dans l’espèce, et peut parfaitement se passer de l’estampille extérieure d’un nom que son sens intime ne trahit pas. L’originalité, je le répète, appartient à l’espèce ; comparé à des Italiens, à des Allemands, Nicolo a sa physionomie propre, son air particulier, qui se dissipent dès l’instant que vous l’envisagez parmi le groupe de famille. Autant j’en dirai de Boïeldieu, bien autrement fort et musicien que l’élève de Guglielmi, et au-