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vres débiles, productions plus ou moins médiocres d’une muse routinière qui, après avoir un moment, dans le Muletier, trouvé l’accent, le style, se hâte, la tête basse et la pâleur du découragement au visage, de reprendre tristement le chemin de l’oubli. Lasthénie, le Lapin blanc, Vendôme en Espagne, quels souvenirs, je le demande, rappellent ces partitions aux gens qui les ont jadis entendues ? Et si vous les parcourez aujourd’hui, que pèsent les rares parcelles d’or enfouies dans tout ce clinquant ? Le public actuel me paraît, au sujet d’Hérold, s’engager dans une fausse voie lorsqu’il s’imagine avoir à payer à ce maître de si gros arrérages d’admiration. Disons la vérité pure et simple, gardons-nous à la fois du dénigrement et de ces exagérations intempestives que trop souvent l’étranger nous reproche à bon droit. Aucun tort n’est à réparer envers cette mémoire : Hérold n’a jamais été méconnu, et si la renommée lui vint tard, c’est qu’il n’a produit ses deux chefs-d’œuvre qu’à la dernière heure.

Avant l’avènement de Rossini, Hérold ne compte pas. Il ne sait lui-même ni ce qu’il veut ni ce qu’il peut, va de Méhul à Boïeldieu, de Nicolo à Catel, et dans ce commerce avec l’esprit du passé ne produit le plus souvent que des œuvres médiocres, dont l’existence nuit plus qu’elle ne sert à sa fortune. Quelle différence avec Boïeldieu, et comme dès l’entrée dans la carrière l’individualité s’accuse davantage chez l’auteur du Calife de Bagdad. Lui aussi attend le midi du nouvel astre, mais avec patience, en bel esprit auquel les ressources ne manquent point, et qui, pour tuer le temps, possède en son particulier, bien des charmes secrets. Supprimez d’un trait l’influence rossinienne, nous y perdrons certainement la Dame blanche ; mais la première période de Boïeldieu restera debout pour témoigner d’un talent plein de grâce, d’expression tendre, d’urbanité toute française, tandis que l’auteur des Rosières, de Lasthénie et du Lapin blanc n’a pas eu, comme l’auteur du Village voisin, des Voitures versées et du Chaperon rouge, de première manière, et point de Rossini, point de Zampa ni de Pré aux Clercs, partant point d’Hérold !

Marie fut le réveil de cette intelligence plus cultivée qu’indépendante, et qui se consuma jusqu’à la fin en efforts au-dessus de sa capacité, sinon de sa science. Vers cette même époque, M. Auber, de sept ans seulement plus âgé qu’Hérold, donnait le Maçon et la Muette, deux œuvres qui aujourd’hui encore conservent presque toute leur jeunesse et leur fraîcheur, tandis que la partition d’Hérold, vieillie et démodée, produit sur nous l’effet d’un de ces bouquets de mariée qu’on tire en Allemagne de leur globe de verre pour célébrer les noces de la cinquantaine. Ici encore le musicien porte la peine de son manque de personnalité. Ces crescendo, ces cabalettes, ces cadences, cette éternelle périodicité dans les tours de phrase, tout cela vous a des airs fossiles, délabrés. On se demande ce que nous veulent ces revenans qui flânent dans le vide de cet orchestre. Passez, est-on tenté de leur dire, passez, Une robe légère ; passez, Batelier, dit Lisette ; passez, tic-tac du moulin et mirlitons de la foire ! Les générations