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en un lieu ou à une époque quelconque des faits qui puissent servir de base à cette assertion ? Et si l’expérience.ne réussit pas, si notre marine marchande s’appauvrit, si le nombre de nos matelots diminue avec elle, ce ne sera pas seulement une expérience économique et commerciale qui aura été manquée, ce sera un coup peut-être irréparable porté à la puissance de la France. J’avoue que, malgré l’opinion fort éclairée et fort respectable de quelques Anglais, qu’on a vus dans ces derniers temps sortir de leurs habitudes de réserve et quitter leur pays pour venir dans nos commissipns se faire les apôtres des doctrines qui doivent régénérer notre marine et lui donner un nouvel essor, je ne voudrais m’avancer dans une voie offrant de tels hasards qu’avec beaucoup de circonspection. Je demanderais deux sûretés plutôt qu’une avant de faire le premier pas.

L’histoire de cette législation si menacée est fort simple. Lorsque la société européenne, sortant de la barbarie du moyen âge, a commencé à s’organiser, chaque peuple confinant à la mer a bien vite senti l’importance d’une marine marchande comme élément de grandeur et de richesse. Chacun s’est appliqué à en encourager chez lui le développement. De là toute cette série d’entreprises coloniales, de privilèges, de prohibitions, de droits protecteurs, à l’aide desquels les diverses marines marchandes ont été lancées dans le monde et y ont grandi, celle de l’Angleterre plus qu’aucune autre. Une fois les marines marchandes créées, on avait tous les élémens des marines militaires ; on avait le plus important de tous, la population maritime nécessaire à la formation des équipages. Seulement la création et le maintien de cette population ont été faciles et naturels dans certains pays, laborieux et artificiels dans d’autres. L’Angleterre, avec sa position insulaire et le génie de ses habitans était mieux douée qu’aucune autre contrée pour devenir une puissance maritime. L’insulaire, qui ne peut communiquer avec le reste du monde que par eau, est marin par la force des choses. Les Anglais en outre, par des motifs qu’il n’est pas de notre sujet de rechercher, ont le goût de la colonisation. Ils émigrent sans difficulté, la plupart du temps sans pensées de retour, et portent en tout pays leur énergie naturelle. Ils fondent des colonies, centres de consommation et de production, qui conservent avec la mère patrie des liens puissans et fournissent un continuel aliment à la navigation. Nous au contraire, soldats de terre ferme avant tout, peuple militaire et dominateur, nous manquons notoirement de goût et d’instinct pour les choses de la mer. Nous sommes volontiers conquérans, quoique ne sachant pas toujours garder nos conquêtes ; mais aucun peuple n’a moins que nous le génie de la colonisation.