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Poussés par l’esprit d’aventure, nous allons en guerre au-delà des mers, mais toujours avec la pensée de revenir au pays natal, et si par hasard nous avons emporté avec nous d’autres idées, la nostalgie ne tarde pas à nous avertir de notre illusion. Aussi n’avons-nous pas de colonies à comparer à celles des Anglais en Amérique, en Australie, aux Indes orientales.

Dans cette situation, on comprend que la création d’une marine marchande ait été chose aisée en Angleterre, et que chez nous au contraire la tâche ait été pleine de difficultés. Heureusement quelques hommes d’état ont été donnés à la France, un surtout, Colbert, doué de l’esprit le plus clairvoyant et de la plus énergique volonté. Ces hommes, dans leur noble sollicitude pour notre grandeur nationale, ont voulu nous fournir, par la création d’un commerce et d’une population maritimes, les élémens de cette force navale qui joue un rôle si considérable dans le monde, et à laquelle l’Angleterre doit toute sa puissance. Ils l’ont voulu malgré nous, malgré nos instincts rebelles, et ils ont réussi. Aussi, en même temps qu’à l’exemple du gouvernement anglais ils entouraient la navigation marchande d’une foule de garanties exclusives et protectrices, ils créèrent ce que n’avait pas l’Angleterre, une législation exceptionnelle par laquelle tout le littoral de la France était organisé comme une vaste colonie maritime dont toute la population était enchaînée à la carrière navale. De là l’origine de l’inscription maritime. Moyennant de nombreuses immunités et des avantages de toute nature qui étaient accordés à leurs familles, les gens de mer, par le seul fait de leur naissance, étaient inscrits sur des registres et voués au service maritime, ils devaient se tenir toujours à la disposition de l’état, pour aller, suivant l’étendue de ses besoins, former l’équipage de ses vaisseaux. Il y avait là pour la marine marchande et la marine militaire un égal avantage : à l’une on assurait des matelots, à l’autre le maintien permanent et peu onéreux d’une réserve où elle trouvait à se recruter.

L’inscription maritime, bien que fort ébranlée, est encore debout aujourd’hui. Elle a traversé notre première révolution et tous les régimes divers qui se sont succédé depuis lors, sans qu’on ait jamais songé à porter la main sur une institution qui n’a cessé de répondre admirablement au but que s’est proposé le fondateur. Il y a dans le fonctionnement de tout le système une balance si égale entre les charges et les avantages, qu’il est sans exemple qu’aux époques mêmes du plus grand désordre dans l’état il y ait eu opposition sérieuse au maintien de l’œuvre de Colbert. Beaucoup de peuples étrangers nous envient cette législation et s’efforcent d’y conformer la leur. Les Anglais eux-mêmes, qui viennent l’attaquer