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Mais, nous disent les partisans des réformes commerciales illimitées, l’égalité entre les rapports de peuple à peuple, la concurrence toujours si féconde, remettant chaque chose à sa place, développeront chez nous les industries pour lesquelles nous sommes intellectuellement et naturellement préparés, et ces industries nous donneront des produits encombrans à emporter. La chose est possible, et nous ne voulons pas en désespérer ; mais ce sont toujours des promesses qu’on veut nous faire accepter pour du comptant, et j’ajoute que, quant à présent, les réformes déjà opérées n’ont pas eu le résultat dont on nous flatte. Ce sont des tissus et autres marchandises de peu de volume dont la production a augmenté ou qui ont traversé nos ports en transit. La différence de volume entre nos exportations et nos importations est de 1 à 3 : 33 millions de quintaux métriques contre 99. Pour que notre marine pût prendre un nouvel essor, il faudrait que l’agriculture, à laquelle notre population et notre sol sont si propres, pût s’affranchir des entraves qui la gênent et se relever de l’appauvrissement que lui ont causé nos erreurs sociales, nos préjuges et ces emprunts soi-disant nationaux qui ont enlevé à nos cultivateurs le peu de capital dont ils disposaient ; il faudrait que les produits de notre territoire s’accrussent dans une proportion assez grande pour fournir à nos bâtimens de commerce des chargemens considérables. Il faudrait que le bassin houiller du Rhône devînt le point de distribution du charbon dans toute la Méditerranée. Il faudrait enfin que nos lignes de paquebots à vapeur, soutenues par des subventions qui ne sont qu’une forme moderne de la protection, allassent en se popularisant et étendant leur action, et qu’elles nous donnassent une part de plus en plus grande dans les transports de passagers sur tous les points du globe. Ce sont là les espérances qu’on nous offre ; mais parmi les plus confians de nos libre-échangistes, qui oserait répondre qu’elles se réaliseront bientôt ? Le plus simple bon sens, la plus vulgaire expérience des choses humaines, ne disent-ils pas au contraire que le temps seul, et un temps bien long, peut accomplir de tels changemens ? Je répète ma question, que deviendra en attendant notre marine ?

Je suis loin de contester le principe des réformes commerciales ; je ne cacherai pourtant pas le regret que j’éprouve qu’elles aient été opérées chez nous d’une manière si prompte et si radicale. Je crains qu’une fâcheuse expérience ne vienne encore une fois nous démontrer une vérité bien triviale et néanmoins bien souvent méconnue, qu’il n’y a de bons fruits que ceux que le temps a mûris. Le peuple des États-Unis, si intelligent en affaires et si riche en avantages naturels, n’en persévère pas moins dans la protection, et