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Les plaintes redoublèrent en France quand on apprit que l’établissement suédois avait embauché des ouvriers du Languedoc, dont quelques-uns avaient même transporté leurs métiers à Stockholm. Le gouvernement s’émut d’une telle infraction aux lois sévères qui régissaient l’industrie, et, sur la plainte de l’intendant du Languedoc, le contrôleur-général écrivit en 1785 à l’ambassadeur de France auprès de la cour de Suède pour qu’il s’efforçât de faire rentrer dans leur pays deux ouvriers français que les dénonciations lui avaient désignés. Les nombreuses dépêches écrites pendant plus de deux années à ce sujet montrent de quelle importance pouvait être alors une telle affaire, quelle crainte inspirait à ceux qu’on appelait des transfuges leur « crime » découvert, quel intérêt cependant il y avait du côté de la France à leur promettre leur grâce, afin de les enlever à la concurrence d’un marché étranger, et quel secret enfin notre ambassadeur devait garder en face du gouvernement suédois pour conduire à bonne fin cette grave négociation.

Gustave n’aspirait pas seulement au renom d’un roi libéral envers ses peuples ; il ambitionnait aussi celui de protecteur des lettres et des arts. Ce titre figurait dans le programme tracé par le XVIIIe siècle aux souverains, et ce n’est qu’être juste envers Gustave III que de reconnaître la parfaite conformité de cette convenance politique avec son propre penchant. Il respectait et aimait les choses de l’esprit. Ayant lui-même voulu payer d’exemple, il figure parmi les écrivains distingués de la Suède, et il a été compté de son temps au nombre des souverains lettrés de l’Europe. Bien plus, nous devons réserver à Gustave une place dans l’intéressante galerie de la littérature française à l’étranger : il a écrit dans notre langue au moins autant que dans la sienne, et si, dans le recueil fort incomplet de ses œuvres imprimées, ses discours politiques et académiques, avec la plus grande partie de son théâtre, se lisent dans l’idiome national, ce n’est pas le cas pour la plus grande partie de sa correspondance, ni pour les œuvres historiques de sa jeunesse. Il devient même douteux, après qu’on a feuilleté l’immense et précieuse collection des papiers de Gustave III à Upsal, s’il se servait plus habituellement de l’une ou de l’autre langue ; il est clair que très souvent du moins il pensait dans la nôtre. Que son style français fût toujours à l’abri des reproches pour la construction grammaticale et même pour l’orthographe, il ne faudrait pas l’affirmer ; mais il écrivait du moins avec une facilité, extrême, qui laissait paraître la vivacité d’esprit et l’enjouement. Tel est surtout le caractère de sa correspondance, d’où l’on pourrait citer beaucoup de billets aimables et de mots heureux. Si dans ses discours la déclamation se montre souvent avec les moralités de lieux communs, il faut bien