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ils n’en rendraient pas moins service à l’humanité, et l’on ne peut comprendre que l’esclavage compte encore pour défenseurs des hommes qui ont foi à l’Évangile.

Quant au sud, il a bien raison de l’appeler son institution sainte et d’en faire dépendre sa vie. Tout le terrain perdu par l’esclavage est aussitôt envahi par la démocratie. En revanche, la société sudiste mesure ses conquêtes aux progrès de l’esclavage. Son influence dans le gouvernement de l’Union a toujours dépendu du nombre des états à esclaves. Voilà pourquoi ses chefs ont prétendu à l’indépendance le jour où, la majorité leur manquant, ils n’ont pu prétendre au pouvoir.

On dit que le nord dépouille le sud. Où voit-on qu’il ait porté avant la guerre la moindre atteinte aux propriétés ? Il ne s’agissait alors ni de confiscation ni d’affranchissement. La querelle s’est élevée à propos de l’introduction de l’esclavage dans les territoires et de la loi des esclaves fugitifs. Vous savez qu’à côté des états déjà formés il y a des territoires soumis à l’autorité fédérale en attendant qu’ils soient élevés à la dignité d’états. La plupart de ces grands états de l’ouest, qui pèsent aujourd’hui d’un tel poids dans les destinées de l’Amérique, étaient encore, il y a peu d’années, soumis à ce régime. La question de l’organisation des territoires fut de bonne heure le champ de bataille accoutumé du nord et du sud : ils comprenaient l’un et l’autre que de l’avenir des territoires dépendait la prépondérance de la ligue des états à esclaves ou de celle des états libres. Aussi, tandis que le nord voulait en exclure l’esclavage, le sud cherchait par tous les moyens à l’y propager. Sous peine de perdre sa majorité compromise, il fallait bien qu’il inoculât son mal aux territoires et prît la tutelle de cette pépinière d’états futurs. La guerre civile qui désole le Kansas il y a peu d’années ne fut qu’un effort impuissant du sud pour arracher ce sol libre aux émigrans du nord. Longtemps avant l’élection présidentielle, les esclavagistes avaient menacé de s’insurger si elle tournait contre eux.

La loi des esclaves fugitifs était l’autre condition de leur fidélité. Je n’hésite pas à dire qu’elle était une honte pour le gouvernement fédéral. Les gens du sud se plaignent qu’on leur ait fait la loi ; ce qui est vrai, c’est qu’ils ont voulu la faire aux autres, et que les autres ont résisté. Du jour où ils ont cessé d’être une majorité oppressive, ils sont devenus une minorité rebelle, et leurs théories constitutionnelles ont changé au gré de leurs prétentions. Vous vous figuriez peut-être qu’un pouvoir central, reconnu par des gouvernemens locaux, était souverain dans la limite de ses attributions légales : défaites-vous de cette erreur anti-libérale ; les gens du