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avaient commencé par arracher au roi Christian IX une province fédérale pour mieux faire reconnaître la souveraineté de ce roi par la confédération ; elles avaient ensuite prétendu saisir pacifiquement, et comme gage matériel, une autre de ses provinces, déjà extra-fédérale, et elles devaient bientôt s’avancer dans la troisième, pour avoir le gage de leur gage. Elles n’en affirmaient pas moins toujours respecter les obligations internationales et ne porter aucune atteinte à l’intégrité de la monarchie Scandinave. C’est d’ailleurs pour punir le roi de Danemark de sa désobéissance au Bund que les deux puissances s’étaient chargées de cette œuvre de « justice, » et cette œuvre, elles l’inauguraient par une déclaration formelle de leur propre désobéissance envers le même Bund ; elles agissaient en « mandataires de l’Allemagne, » et l’Allemagne entière protestait contre l’usurpation du mandat ! — Toutes ces choses monstrueuses, l’Europe les regardait et les laissait faire, l’Europe, qui dans cette année de grâce 1864 ne manquait pas certes d’armées nombreuses et bien disciplinées, ni de gouvernemens forts, doués d’initiative et se proclamant même volontiers les défenseurs providentiels des faibles, les vengeurs des opprimés. Et pourtant l’Europe avait jadis su empêcher l’iniquité de s’accomplir, alors que la tentative en avait été faite pour la première fois par la brave et généreuse Allemagne en 1848, au moment d’une tourmente universelle, où les peuples étaient en délire et les gouvernemens dans le désarroi et dans un état voisin de l’impuissance absolue. Les défenseurs ne firent pas défaut en 1848 à la monarchie de Frédéric VII, et l’empire des Habsbourg lui-même était du nombre. Sourde aux appels de la grande patrie, l’Autriche s’était alors opposée de toutes ses forces à la convoitise prussienne, et son ambassadeur n’avait pas quitté Copenhague pendant que se poursuivait sur l’Eider la « guerre de délivrance. « La Suède s’était jetée résolument dans la mêlée et avait envoyé ses soldats au secours d’un peuple qui lui était uni par tant de liens de race et d’histoire. L’empereur Nicolas avait su, de son côté, s’affranchir de tout égard envers son beau-frère le roi de Prusse ; il avait été même le plus ardent à provoquer contre l’agresseur un concert des grandes puissances, et la flotte russe avait paru un jour dans les eaux de la Baltique comme une menace à l’adresse de l’effervescence tudesque. L’Angleterre, cela s’entend, s’était montrée, comme toujours, prodigue de remontrances et de semonces, et les circonstances avaient empêché heureusement de dévoiler ce que ce goût si marqué pour la parole cachait alors déjà peut-être de défaillance pour l’action. Enfin il n’est pas jusqu’à la France, si éloignée du théâtre de la lutte, et si absorbée à cette époque par des déchiremens intérieurs et les