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lation constante du premier article du grand pacte de 1815, sans que son gouvernement eût jamais cru devoir pour cela déclarer la guerre, sans que le pays le lui eût jamais sérieusement demandé. Et de même il serait malaisé de prétendre que l’agrandissement de l’Allemagne par le Slesvig constituait un déplacement de forces, un changement d’équilibre général de nature à inquiéter l’empire français, à l’affecter dans sa sécurité et à lui imposer des résolutions extrêmes. Au fond, de toutes les grandes puissances non germaniques il n’y avait que la Russie de vraiment intéressée à la conservation de Kiel dans les mains d’un état faible et ne visant à aucun rôle dans l’avenir ; quant à la France, jusqu’à quel point devait-elle prendre ombrage de la création possible d’une marine allemande qui, ajoutée à d’autres marines secondaires, pourrait un jour servir de contre-poids utile à la prépondérance britannique sur les mers ? Il y aurait là dans tous les cas une question à débattre. Pour le dire d’un mot, et en employant les termes mêmes qui, appliqués par le discours impérial du 5 novembre 1863 à la Pologne, avaient rencontré un assentiment presque universel, « ni son honneur, ni ses intérêts n’obligeaient la France à prendre les armes dans la cause du Danemark, » et ce n’est point à coup sûr une des moindres bizarreries de notre temps et de ce pays que l’opinion libérale, qui s’y est si vite consolée et même réjouie de l’abandon de la Pologne, ait toujours gardé quelque rancune au gouvernement de son abstention dans les affaires des duchés, abstention qui lui était cependant commandée par la plus saine et la plus prévoyante des politiques.

Ah ! certes, et sans vouloir examiner si l’honneur et les intérêts de la France étaient complètement dégagés dans la question polonaise, il sera au moins permis de rappeler qu’il s’agissait là d’un très vaste problème de politique et de civilisation, et que c’est tout un nouvel ordre de choses qu’embrassait l’hypothèse de cette alliance austro-française dont le prince de Metternich était allé porter la pensée à Vienne en mars 1863. L’alliance ainsi comprise impliquait le rétablissement sur les confins de l’Europe occidentale d’un état antique, libéral et chrétien, a dont le partage avait été le prélude, en partie la cause et jusqu’à un certain point l’excuse des bouleversemens ultérieurs du continent[1]. » On brisait de la sorte à jamais la ligue absolutiste du Nord, cimentée depuis un siècle par le sang de la nation démembrée. On relevait en même temps dans le monde germanique, comme dans le monde slave, ces inté-

  1. Expression de M. de Talleyrand dans sa note célèbre au congrès de Vienne du 19 décembre 1815. La phrase est d’autant, plus significative qu’elle vient de l’homme qui fut précisément alors le plénipotentiaire du roi Louis XVIII.