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rêts catholiques qui, quoi qu’on ait dit, seront toujours des intérêts français. On préservait les peuples déshérités du Danube et du Balkan de la propagande délétère du panslavisme tsarien, et la solution de la terrible question d’Orient était préparée dès lors par les voies et au profit de la civilisation véritable. On abaissait la monarchie rapace de Frédéric le Grand, et on éloignait de la France les très réels périls d’une future unité allemande que seule la Prusse est en état de constituer. On rachetait pour l’Italie la perle de l’Adriatique au moyen de compensations alors devenues possibles, et on procédait dans les deux hémisphères à la régénération de la grande race latine. — Voilà ce qu’impliquait une entreprise commune de la France et de l’Autriche en faveur de la Pologne, et l’esprit demeure confondu devant les perspectives radieuses qu’une pareille alliance ouvrait à l’humanité. Les dieux jaloux et les Anglais, plus jaloux encore que les divinités de l’Olympe païen, ont empêché une telle combinaison d’aboutir. Il se peut qu’elle fût mal engagée, ou bien prématurée, ou bien encore tout à fait impraticable ; mais elle fut dans tous les cas d’une grandeur singulière, et mérita d’être tentée, d’être désirée avec ardeur, avec dévouement et dévotion, — devoutly to be wish’d, comme dit le poète immortel.

De tels et si hauts intérêts, on l’avouera, n’étaient point en jeu dans la question du Danemark : ni les destinées de l’Europe ni les grands problèmes de la civilisation ne se trouvaient liés au sort des duchés. Il y avait là sans doute une agression inique et violente, l’oppression d’un faible par les forts, un acte de brigandage international accompli en plein XIXe siècle, et certes il était permis de souhaiter que la France prît une part active à l’empêchement d’un tel méfait, — à une condition toutefois : c’est que cette participation n’amenât point pour la France elle-même des inconvéniens très graves ou de véritables périls. On ne le supposait guère, il est vrai, et l’opinion libérale dans ce pays penchait assez généralement à voir dans une intervention française en faveur du Danemark une entreprise aussi facile que dépourvue de tout danger. Là étaient cependant l’illusion et l’erreur, — erreur profonde, et qu’il importe de bien préciser.

Parmi les divers raisonnemens plus ou moins spécieux que contenait la note au prince de La Tour-d’Auvergne[1], dans laquelle le cabinet des Tuileries expliquait son refus de s’engager avec l’Angleterre dans la question des duchés, on trouve un argument dont la parfaite justesse ne saurait être contestée par aucun esprit

  1. Celle que lord Russell a résumée dans sa dépêche au comte Cowley du 30 janvier 1864. Voyez la Revue du 15 juillet.