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tous les égards qui lui étaient dus, le duc démocrate n’eut pas cependant lieu d’être bien satisfait des résultats de son voyage malgré l’affirmation contraire de la gazette officielle de Gotha. On commençait enfin à Paris à voir clair dans les affaires d’outre-Rhin, à se dire que la troisième Allemagne, pour ne pas être précisément une vertu, n’en était pas moins un rêve. En même temps on apprenait que M. de Manteuffel venait de réussir encore sur un autre point de sa mission militaire, qu’il venait de faire sauter « la seconde carte, » et de porter à l’insurrection polonaise un coup décisif et mortel.

Objet, dans l’origine, d’un assez vif intérêt de la part de l’Europe et depuis destiné à s’épuiser et à s’éteindre au milieu d’une indifférence presque générale, le mouvement polonais n’avait pas cessé cependant de préoccuper plus ou moins gravement les cabinets, malgré la grande diversion qu’avait créée le conflit dano-allemand. Rejetée sur l’arrière-plan par les événemens qui éclataient sur l’Eider, resserrée de plus en plus par les rigueurs croissantes de la saison, de la répression moscovite et de la police autrichienne, l’insurrection se maintenait néanmoins au prix de milliers de vies humaines et d’effroyables calamités sociales. C’est sur l’hiver qu’avait compté le gouvernement russe pour y mettre une fin ; elle survivait à l’hiver, et comptait à son tour sur le printemps pour échapper à l’étreinte mortelle. Les « incidens » que le cabinet des Tuileries avait vainement attendus ou voulu provoquer dans l’été de 1863 s’étaient multipliés depuis l’automne ; une guerre générale devenait probable pour le mois de mai ou de juin, et la guerre, c’était le salut ! Du reste, et pour leur malheur, les Polonais savaient très bien que la France n’avait pas complètement abandonné leur cause, ni renoncé à toute espérance de pouvoir leur porter secours. En effet, et malgré la froideur survenue à la suite du discours impérial du 5 novembre 1863, le cabinet français essaya encore à diverses reprises, vers la fin de 1863 et le commencement de 1864, de renouer les négociations avec Vienne au sujet de la Pologne ; il se prévalut même de son attitude « sympathique » dans le différend sur l’Eider, pour insister sur l’adoption d’une ligne de conduite « commune et énergique » dans les affaires polonaises. De temps à autre, M. Drouyn de Lhuys entretenait confidentiellement le prince Metternich de « l’utilité » qu’il y aurait à reconnaître aux Polonais les droits des belligérans, de l’impossibilité où l’on serait de ne pas s’occuper de leur sort, si le printemps les trouvait encore sous les armes. « L’harmonie » cependant était déjà trop parfaite entre M. de Rechberg et M. de Bismark pour que ce dernier n’eût pas connaissance immédiate de pareilles suggestions, et il ne man-