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qua jamais d’en faire grand bruit à Londres et à Saint-Pétersbourg. Cela ne lui servait que trop à augmenter les perplexités de lord Russell et les complaisances du prince Gortchakov dans la question des duchés. Vers la seconde moitié de janvier 1864, le gouvernement français s’inquiéta avec plus de sollicitude qu’à l’ordinaire de l’état de l’insurrection en Pologne. Un agent spécial envoyé sur les lieux fit un rapport assez favorable : il affirma que l’insurrection pourrait tenir de longs mois encore, pourvu que les mesures ne devinssent pas trop rigoureuses du côté de la Galicie. Les rares, mais chaleureux amis de la Pologne dans les régions du pouvoir reprenaient courage et semblaient même retrouver de l’influence. C’était le moment où l’Angleterre redoublait d’instances pour obtenir un « concert et une coopération » dans le conflit dano-allemand. Le cabinet des Tuileries fit une faible tentative pour lier la cause polonaise à celle du Danemark, et le prince de La Tour-d’Auvergne dut sonder les ministres britanniques sur une reconnaissance éventuelle des Polonais comme belligérans. Le comte Russell s’y refusa en termes catégoriques, il eut même hâte d’en informer le cabinet de Berlin et de le « rassurer » pleinement à cet égard, — car ce fut un des bonheurs innombrables de M. de Bismark que, tout en étant en « dissidence » avec les hommes de Downing-street sur les « droits allemands » dans les duchés, il pouvait toujours compter sur leur concours loyal et empressé dès qu’il s’agissait d’empêcher des « complications » nouvelles, dès qu’il était question de « déblayer le terrain » en Pologne, dans les états Scandinaves ou dans les états germaniques. Le chef du foreign office à cette occasion poussa la bonne volonté jusqu’à faire un appel au cœur du prince Czartoryski et lui représenter qu’il devrait, « dans l’intérêt de l’humanité, » engager ses compatriotes à ne pas prolonger « une effusion inutile du sang. » Le principal secrétaire d’état eut même la naïveté d’ajouter que la persistance du soulèvement pourrait « amener de sérieux embarras pour l’Europe ! » — « Nous promettez-vous du moins, demanda le prince, de poser notre question aux conférences qui vont s’ouvrir à Londres, d’y appeler les engagemens de 1815, ne fût-ce que les promesses faites par l’empereur Alexandre II pendant le congrès de Paris ? — Certainement non, répondit lord Russell ; nous sommes au mieux avec la Russie, et puis M. de Brunnow m’affirme que l’empereur Alexandre est plein de bienveillantes intentions envers vos compatriotes… »

On saurait difficilement se faire une idée de l’ardent désir qui animait alors les deux cours de Berlin et de Saint-Pétersbourg de voir la Pologne « apaisée » avant le printemps, avant que la France