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allemand de la ville, mais suspects à leur parti même, qui n’accepte qu’à regret leur alliance. On dit que le général Mac Clellan est venu lui-même ici passer quelques heures. Ce sont, vous le voyez, les démocrates qui occupent la place ; on annonce une prochaine réunion des républicains.

Je me laisse présenter aux hommes de tous les partis. Les Américains ne permettent pas qu’on regarde trop avant dans leurs querelles de famille. Non-seulement ils tolèrent, mais ils exigent même que l’étranger reste neutre. Ils lui demandent un tribut général d’admiration pour l’Amérique : cela fait, il peut serrer tour à tour des mains ennemies sans que jamais aucune d’elles se retire.

29 juillet.

Hier, de grand matin, nous partions pour le lac Champlain. Le chemin de fer nous conduit jusqu’à Whitehall, à l’extrémité du long bras qui s’étend vers le sud. On entre dans une vallée dont les bords s’élèvent, et dont le fond marécageux semble avoir été couvert par les eaux du lac, puis abandonné à mesure que la rivière Sorel leur creuse une issue plus profonde. C’est là que nous attend, amarré parmi les roseaux, le steamer somptueux de Montréal.

Le paysage du lac Champlain a un caractère agreste, pastoral et tranquille qui ne rappelle guère la sauvage grandeur de son histoire., Les forêts couronnent toujours la montagne ; mais à mi-côte commence une zone à moitié défrichée de prairies et de champs cultivés. Le lac, à cette extrémité, large environ comme une rivière, serpente parmi des marais entrecoupés de promontoires qui viennent plonger à pic dans une eau plus profonde. On en rase presque les parois retentissantes, lorsque le lourd vaisseau circule lentement dans ces étroits défilés. Plus loin, le bassin s’élargit, enfermé de toutes parts d’un triple étage de montagnes noyées dans la vapeur blanche et douce de l’atmosphère américaine. Sur leurs flancs pendent des végétations fraîches, gracieuses, ondoyantes, et si touffues qu’elles revêtent les rochers comme une chevelure : ce sont des bouleaux blancs aux guirlandes pleureuses, des mélèzes pâles, des pins du lord fins et soyeux, des sarmens de vigne qui retombent en grappes légères, formes frêles, couleurs discrètes et tendres qui mettent la terre en harmonie avec la douceur du ciel. La structure de ces côtes est aussi gracieuse que leur parure ; les montagnes ne descendent pas en précipice dans le bassin du lac, mais viennent s’y éteindre en ondulations caressantes. L’œil suit avec ravissement les contours de ces pentes molles, et monte de degrés en degrés jusqu’aux cimes vaporeuses qui dessinent leur profil bleu sur le ciel. Nous faisions cette nonchalante navigation des lacs, si pleine de charme, où l’on va de rive en