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Ce qui achève de montrer que Robespierre n’avait aucun système nouveau sur la répartition des biens, c’est la pensée qu’on lui attribue d’avoir voulu abréger la terreur. Pour appliquer un système de ce genre, il eût fallu au contraire la perpétuer.

Je voudrais ne choquer personne ; mais quand je vois combien l’histoire se dénature entre nos mains, sous nos yeux, comme elle peut se changer en fléau au gré des passions de chacun, je m’arme contre les idoles agrandies le lendemain ; je tâche de retenir la seule chose vivante qui nous reste encore du passé, l’expérience. Tout est perdu dans un peuple quand les types mêmes de son histoire sont transformés, changés au point de signifier le contraire de ce qu’ils furent. C’est la trame même de son existence qui se fausse ou se déchire.


II. — LE CODE CIVIL DE LA CONVENTION.

Si l’on me demandait quelle a été la journée la plus extraordinaire, la plus imprévue de la convention, je dirais que c’est celle du 9 août 1793. Ce jour-là, vous auriez cru entrer dans une assemblée séparée de la première par un long intervalle de paix profonde. La peur, la menace, la colère, le soupçon, le ressentiment même, cessèrent tout à coup. A leur place, la raison impartiale, la justice suprême, telle qu’elle a tant de peine à paraître au milieu des hommes dans les époques les plus prospères, descendirent dans les cœurs, apaisèrent les orages. Ce fut pour la première fois, au lieu du silence de la peur, un silence d’adhésion, de consentement, non pas dans une seule partie de l’assemblée, mais sur tous les bancs : accord que personne n’eût pu espérer la veille, que personne n’avait la pensée de troubler ; unanimité de la conscience humaine, qui, au milieu des plus terribles orages, se révèle par le rayonnement intérieur des esprits, étonnés de pouvoir encore se rapprocher et s’unir dans une même pensée fondamentale. Il n’y avait plus ni montagnards, ni girondins, ni vainqueurs, ni vaincus, ni plaine, ni marais. Il ne resta ce jour-là que la sagesse écrite. Elle s’imposa tranquillement à tous par sa seule présence. Et comment se fit ce miracle ? Un homme peu mêlé aux luttes politiques, qui semblait étranger à ce qui l’entourait, monta à la tribune. Cambacérès y déposa le code civil[1].

La convention avait donné trois mois pour préparer ce code. L’œuvre fut faite deux mois avant le terme fixé. Il y avait aussi de l’héroïsme chez les jurisconsultes.

  1. Moniteur de 1793, 1794, 1795. — Projet de code civil présenté à la convention nationale le 9 août 1793, au nom du comité de législation, par Cambacérès.