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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/125

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proche. Ces sauvages blancs et rouges reçoivent deux fois par semaine la visite de l’Algoma ; c’est le seul lien qui les rattache au monde civilisé. Quelques maisons, bâties à l’américaine, ont le luxe d’une cloison de poutres et d’un toit de planches : ce sont celles des métis. Les Indiens couchent misérablement sur la terre nue, sous l’abri fragile de leurs wigwams d’écorce. Imaginez une sorte de cage formée de bâtons plantés en terre, rattachés en bouquet à leur extrémité, et là-dessus des lambeaux d’écorce de bouleau ou de chêne, rudement fixés par des tiges flexibles qui cerclent la cabane comme un panier de saule : voilà la demeure de toute une famille, sa défense contre la pluie, la neige et le vent d’hiver. Les plus riches ont une natte de joncs tressés qu’ils étendent sur la terre humide. Il y en a même, et c’est le dernier degré de la civilisation, qui ont établi dans leur hutte un petit poêle de brique surmonté d’un mince tuyau de tôle. La plupart gisent dans la boue, pêle-mêle avec les porcs, leur seule richesse, et réchauffent, serrés les uns contre les autres, leurs membres grelottans. En face des exemples européens, à quelques jours des grandes cités, ces pauvres gens n’ont ni l’adresse ni le besoin de se bâtir d’autres demeures. Les peuples, comme les individus, ont une période d’enfance intellectuelle et de lent progrès moral qu’une culture extérieure ne peut remplacer.

L’été, les hommes chassent et pêchent ; l’hiver, on se resserre dans la hutte, on y travaille à ces petits objets dont s’empare à vil prix la curiosité des blancs : broderies de verre, de paille ou d’aiguilles de porc-épic, paniers de joncs et canots d’écorcé, ouvrages de temps et de patience, dont l’Européen affairé dédaignerait le gain frivole. L’Indien aime les couleurs voyantes et les marie d’une manière originale. Je remarque un wigwam plus civilisé couvert d’une toile à voile, abri plus solide que ces rudes écailles d’écorces mal jointes. A l’intérieur, attachée à une ficelle, une natte à longues franges pendait comme un rideau. Ce n’est pas même un ameublement, les pauvres gens n’oseraient se donner pareil luxe ; c’est l’ouvrage commun de la famille pendant les longues soirées.

Un groupe m’a fort amusé, vu dans le clair-obscur de l’étroite cahute, comme une nichée de petits chiens dans un chenil. C’était une mère et ses trois enfans, ne parlant ni français, ni anglais, vrais sauvages de tout point. L’un d’eux, encore à la mamelle, reposait dans cet étrange berceau indien, sorte de raquette en forme de traîneau, où l’enfant reste attaché comme en croix, et que les femmes suspendent comme une hotte sur leurs épaules ; sa mère tantôt le posait sur le bout de ses pieds et le balançait pour calmer ses cris, tantôt le prenait dans ses bras, jetant quelquefois aux