arrive par de longs tuyaux. Elle est toujours à haute pression, par économie de poids et de volume. Un clou saute à la chaudière ; nul ne songe à le remplacer, encore moins à s’arrêter en chemin. J’y remarquai une fuite inquiétante, mais tout le monde la voyait comme moi, et nul ne semblait y songer.
Ce fut bien pis quand vint la nuit. Il n’y avait ni matelas, ni chaises, ni même place dans un coin de la cabine. J’avisai sur le pont un paquet de câbles, et je m’en emparai. C’est en cet équipage que je traversai le lac Pépin, expansion du Mississipi dans une partie plus large et plus basse de la vallée. Le soleil se couchait en face et transfigurait les rivages ; la verdure des forêts se colorait d’une teinte violette et nuancée de cime en cime, légère d’abord, puis éclatante, enfin sombre et veloutée comme un manteau de pourpre. Je me levai le matin trempé de rosée à l’embouchure de la rivière Sainte-Croix. Nous avions fait près de deux cents milles ; il n’en restait que trente jusqu’à Saint-Paul. Je souffrais, j’avais hâte d’arriver ; mais ce n’était pas la fin de nos tribulations.
Cinq heures d’attente au pied d’un rocher ! si j’eusse été ingambe, j’aurais sauté sur la rive, dessiné et cueilli des raisins sauvages. Enfin un autre bateau vient au-devant de nous, plus petit encore, plus incommode. À peine embarqués, on nous crie : « Tout le monde sur le bac ! » Nous avions touché. Je me traîne péniblement sur le bac, et je me hisse à force de bras sur une montagne de caisses. Sans abri, bousculé par la foule, traînant après moi mon bagage et souffrant enfin plus que jamais, cette dernière journée me parut un supplice. Vers le soir, un gentleman officieux, passablement débraillé, dont l’amicale indiscrétion me tourmentait depuis une heure, m’indique un lit près de la machine : une planche hérissée de clous, trop courte et trop étroite, entre un courant d’air et un jet de vapeur, ébranlée d’ailleurs par tous les passans. Le vacarme était épouvantable, le plancher pavé de corps humains. Enfin ce matin, après vingt-huit heures de navigation, nous achevons ces trente milles interminables, et nous débarquons à Saint-Paul. Me voici au point extrême de mon voyage, et cette extrémité du monde est une grande ville, non pas sans doute à la façon de Paris, mais à la façon d’Amérique. Les communications, rendues si difficiles par les basses eaux, se font cependant tous les jours, et pas un paquebot qui n’apporte trois ou quatre cents personnes. Des deux rives, celle où se trouve la ville est montueuse et escarpée, l’autre à peu près plate ; un grand pont incliné passe de l’une à l’autre sur des piles aussi frêles et aussi hardies que des flèches gothiques. Un chemin de fer, tête d’une ligne inachevée, aboutit