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est entrée dès l’origine dans les palais du Quirinal ou les riches maisons du Forum, elle n’a pas tardé même à s’insinuer jusque sur le Palatin. Pomponia Græcina, si elle était chrétienne, ce qui est probable, devait nécessairement être une des premières conquêtes des apôtres. Domitilla et Flavius Clemens, ces proches parens de Vespasien, par lesquels le christianisme pénétra pour la première fois chez les césars, avaient entendu les successeurs de Pierre et les disciples de Paul. La plupart des grands personnages dont on retrouve les tombeaux dans la crypte de Lucine n’ont pas vécu plus tard que les Antonins[1]. Il y avait donc dans la société chrétienne des premiers temps, à côté des pauvres et des humbles, pour lesquels la nouvelle doctrine devait avoir des attraits merveilleux, des gens riches et nobles. Les esclaves et les maîtres, les cliens et leurs patrons, les plébéiens et les sénateurs s’y sont rencontrés ensemble dès les premiers jours. Si ces grands seigneurs n’ont pas laissé plus de traces dans l’histoire de l’église naissante, c’est que le sentiment de l’égalité fraternelle recommandée par le maître y était resté vivace, c’est qu’elle pratiquait encore à la lettre le beau mot de Lactance : « Il n’y a d’illustres chez nous que ceux qui accomplissent largement les œuvres de miséricorde. » Il n’en est pas moins probable que ces gens riches, que ces personnages importans, dont on parle si peu, ont dû venir souvent au secours de la communauté en péril, l’aider de leur fortune ou de leur crédit, et quand on n’est pas disposé à ne voir qu’une série de miracles dans l’établissement du christianisme, on est en droit de soupçonner que leur argent ou leur influence ne fut pas inutile à ses succès. J’avoue que ce n’est pas l’idée qu’on se fait d’ordinaire des premiers temps de l’église ; on ne se la figure que misérable et proscrite. Le tableau d’une religion qui se propage sans bruit parmi les classes pauvres et déshéritées, qui se plaît à vivre dans les misères, qui grandit par les persécutions, flatte nos imaginations démocratiques, et je connais des gens qui sauront mauvais gré à M. de Rossi de l’introduire si vite dans le palais des grands. Mais l’imagination n’a que faire ici ; le rôle de notre époque est de rompre en toutes choses avec le roman pour revenir à la réalité.

Ce qu’il n’est pas possible de nier, c’est que les opinions qu’on

  1. On a trouvé dans la crypte de Lucine une pierre qui contient les noms d’un certain Iallius Bassus et de tous les siens. M. de Rossi avait pensé qu’il s’agissait d’une famille importante de Rome. Une découverte récente a prouvé qu’il ne se trompait pas. Dans une des dernières séances de l’Académie des Inscriptions (18 août 1865), M. Léon Renier a rendu compte d’une inscription de Troësmis qui prouve que ce Iallius Bassus était en 161, la première année du règne de Marc-Aurèle, gouverneur de la Mœsio inférieure.