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dant ses nombreuses absences, Henri lui confiait le gouvernement de son petit royaume, et ce pays privilégié demeurait tranquille, tandis que toutes les provinces françaises étaient en proie aux dissensions et à la guerre. Calviniste rigide, Catherine observait avec une sévérité rigoureuse les pratiques de son culte ; mais elle se préservait de l’intolérance, qui avait été la tache principale du caractère de Jeanne d’Albret. Active et Intelligente, elle s’occupait à la fois de littérature et de gouvernement. C’est pour elle que l’austère Mornay avait composé ses méditations sur l’Evangile. Palma Cayet était son lecteur. Elle traduisait des psaumes en langue française et faisait quelques poésies religieuses. Tout le monde l’honorait en Béarn, car elle n’oubliait ni les châteaux ni les chaumières, et remplissait ses devoirs de régente avec autant de justice que de bonté. On admirait « sa bouche expressive, son teint délicat, son regard doux et vif, ses yeux du même bleu que celui de Henri, ses cheveux blonds encadrant un front ouvert et pur. » De nombreux prétendans aspiraient à sa main, et, il faut le dire, son frère n’était que trop disposé à la promettre successivement aux princes et même aux simples gentilshommes dont il réclamait les services. Le cœur de Catherine avait parlé cependant : elle ne voulait pas d’autre époux que le jeune comte de Soissons, de la maison de Condé. Ce fut par amour pour elle que le comte amena sous les drapeaux de Henri de Navarre une partie de la noblesse de Beauce et de Normandie, et décida le gain de la bataillé de Coutras. Sully, qui n’aimait pas le comte de Soissons, le traite mal dans ses mémoires. Il le représente comme un esprit naturellement froid, remarquable par sa dissimulation, par son flegme, par une conduite extérieure qui n’était que « cérémonial et formalité. » C’était l’opposé même du caractère de Catherine, vive et affable comme son frère ; mais l’amour se plaît aux contrastes, et la princesse était subjuguée par l’éclat de ce jeune et brillant seigneur, dont la comtesse d’Armaillé nous trace un remarquable portrait. Le comte de Soissons avait sept ans de moins que Catherine à l’époque de la bataille de Coutras, il n’avait que vingt ans, et déjà il était célèbre par ses succès et sa vaillance. « Aimant la gloire comme un Bourbon, l’intrigue comme un Valois, les arts comme un Médicis, » il exerçait dans ses châteaux de Nogent et de Blandy une hospitalité splendide. Il était aimé par le peuple, qui le disait en rapport avec les esprits invisibles, fêté et admiré par la cour, qui voyait en lui l’un des hommes les plus élégans de son siècle. Il avait la richesse et la bravoure, la jeunesse et la beauté. Ajoutez à cela une ambition ardente, un amour insatiable des grandeurs. Frère catholique d’un prince huguenot, courtisan de Henri III, ami du duc de Guise, compagnon d’armes et proche parent du roi de Navarre, il passait d’un parti à l’autre suivant son intérêt ou son caprice, et L’Estoile l’appelle le « Protée de son temps. » Henri de Navarre lui avait promis la main de Catherine, mais il n’avait pas tardé à se repentir de cette promesse. Il ne put s’habituer à l’humeur inquiète et arrogante du comte, à ses manières orgueilleuses et froides pour les gen-