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verte sérénité d’un endroit si recueilli est plein de charme, d’apaisement et de douceur. Les villages anglais se distinguent surtout des nôtres en ce qu’ils renferment dans un petit cercle toutes les classes de la société. Un peu à l’écart s’élève le manoir du squire, ancien et vénérable édifice entouré de grands arbres centenaires sur lesquels les choucas se donnent rendez-vous au tomber de la nuit, et qu’ils remplissent alors de croassemens tumultueux. Une belle rookery, sorte de parc habité par les choucas et les freux, est l’orgueil de tout gentilhomme d’outre-mer. Sur la hauteur se dresse une grande maison blanche, construite par un paysan enrichi, mais occupée par deux demoiselles nobles, et des fenêtres de laquelle on aperçoit un paysage bien anglais : des prairies d’une sombre verdure dont les lignes ondoyantes contrastent avec la brume argentée d’un ciel indécis. D’autres riches villas, disséminées dans le voisinage, trahissent aussi à l’extérieur les habitudes élégantes de ceux qui les habitent. Ce hameau, situé à plus de cent milles de la capitale, et qui semble à première vue l’idéal réalisé d’une idylle de Gessner, est donc au contraire une miniature de Londres transportée au milieu des champs. En Angleterre, les familles les plus distinguées, au lieu de s’enfermer dans les villes, se répandent au contraire par petits groupes dans les provinces. Le rêve des hommes d’affaires qui ont fait fortune est de s’établir dans un district agricole, d’y mener la vie du gentilhomme campagnard, et de grossir ainsi les rangs de ce qu’on appelle la gentry, — classe assez nombreuse qui tient le milieu entre la bourgeoisie et la noblesse. Les descendans de ces parvenus restent pour la plupart sur leurs domaines, ornés, cultivés à grands frais, et les plus heureux d’entre eux s’allient même quelquefois aux anciennes familles du pays. Ainsi se renouvelle le sang de l’aristocratie foncière (land aristocracy), désignée de la sorte au-delà du détroit parce qu’elle appartient plus à la terre que la terre ne lui appartient. L’église occupe le centre du village, symbole en cela du pasteur anglican, qui sert de trait d’union entre les élémens si divers d’une société hiérarchique. Par son éducation et ses manières, il se rattache aux classes supérieures ; par son caractère évangélique, il se doit surtout aux classes pauvres ; par la nature de sa charge, il appartient à tous les hommes.

Le presbytère (vicarage), entouré de murs et de jardins, s’élève naturellement à une très courte distance de l’église ; on y entre par une porte cochère ouvrant sur une ruelle qui commence par des maisons et qui finit par se perdre sous les arbres au milieu des prairies. C’est un bâtiment qui n’est point sorti en bloc du cerveau d’un architecte, mais qui s’est accru de constructions successives