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son portrait. Pendant ce, temps-là, Gustave, qu’on croyait à Schwerin, se promenait fort inconnu dans les jardins illuminés, de Ludwigslust, et l’erreur dura assez longtemps pour qu’il pût jouir de cette mystification[1].

Après avoir visité Brunswick, Nuremberg, Augsbourg, Munich et Insprück, Gustave III entra en Italie vers la fin du mois d’octobre 1783. Le baron d’Adlerbeth, le même qui a laissé des mémoires très curieux sur tout son temps, a rédigé une suite de lettres intéressantes, conservées aujourd’hui manuscrites dans la bibliothèque particulière du roi Charles XV, avec lesquelles il serait aisé de reconstruire non-seulement le voyage du roi de Suède, mais tout le tableau moral de l’Italie à la fin du XVIIIe siècle. Un journal écrit par le baron d’Essen, et qui mériterait d’être publié en entier, y ajoute une curieuse chronique des arts. — Les plaisirs commencèrent dès Vérone, où des combats d’animaux furent offerts dans l’amphithéâtre antique ; mais Gustave se hâta d’arriver aux bains de San-Giuliano, tout voisins de Pise, et c’est dans cette ville qu’il fit la connaissance du grand-duc de Toscane. Léopold, frère de Marie-Antoinette et de Joseph II, auquel il succéda comme empereur en 1790. était depuis près de vingt ans, dans ses états de Toscane, un des souverains les plus éclairés du siècle. Il avait aboli l’inquisition, introduit de sages réformes ecclésiastiques, adouci les lois, encouragé l’industrie, le commerce et l’agriculture. Son sens pratique et ses vues libérales, après avoir fait leur œuvre en Italie, devaient plus tard aussi mener à bonne fin en Autriche les réformes que le zèle inconsidéré de son frère y avait multipliées et compromises. Cela n’empêche pas Adlerbeth d’ajouter à l’éloge mérité qu’il fait de ce prince une observation digne de remarque. « Il est seulement dommage, écrit-il avec simplicité, que le grand-duc soit Autrichien ; les Florentins n’ont pas oublié leurs Médicis, et dans aucun cas la différence de nationalité n’est plus sensible ni plus funeste que lorsqu’elle s’élève entre le souverain et ses sujets. » En revanche, Adlerbeth trace un tableau attachant de l’aimable vie florentine. De Brosses l’avait décrite quarante-cinq ans auparavant : visitait la Toscane au moment même où la maison de Lorraine-Autriche venait de succéder aux Médicis, il remarquait déjà que, pour un pays habitué à ses souverains nationaux, rien n’était si dur, que de devenir province étrangère. Il avait trouvé d’ailleurs dans la riche Florence de 1738 un goût effréné du luxe et du plaisir qui,

  1. Ces détails sont rapportés dans les dépêches du ministre de Saxe auprès du cabinet de Stockholm sous la date du 2 décembre 1783. Une lettre de Gustave III, écrite d’Ylsen en Lunébourg, 6 octobre, et adressée au comte de Creutz, ne dit rien d’une telle aventure, mais ne la contredit pas.