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mes intérêts, sûr que je les confie à un ami et au plus honnête homme de son royaume. Votre mnajesté connaît sur quel fondement l’union de la Suède et de la France a été basée depuis plus de deux cents ans ; elle sait que l’intérêt réciproque de Gustave Ier (ennemi du beau-frère de Christiern II) et de François, Ier (qui trouva nécessaire devoir un allié dans le Nord) posa les premiers fondement de cette alliance que Gustave-Adolphe et Louis XIII cimentèrent encore par une suite de succès et de gloire qui firent monter les deux monarchies à un degré de puissance et de grandeur dans laquelle la France s’est maintenue, mais dont la Suède test tombée, par les fautes moins encore que par les malheurs de Charles XII et surtout par l’anarchie qui suivit sa mort. Cette anarchie, en mettant la Suède presque sous la tutelle de ses voisins, la rendit une alliée inutile et sauvent onéreuse. L’heureuse révolution qui, en étouffant l’anarchie, y a établi l’ordre, a rendu la Suède à ses anciens amis, et le temps qui a écoulé depuis l’a mise en état de pouvoir lui être utile. Élevé dès ma plus tendre enfance dans les principes constans de mes ancêtres d’amitié pour la France, et fortifié dans ces sentimens par ceux que le feu roi de France Louis XV me témoigna dans les momens les plus périlleux de ma vie, mon soin constant a été de lui témoigner, ainsi qu’à votre majesté, combien mon cœur en sentait de reconnaissance, et combien je mettais de prix à perpétuer l’union qui, depuis si longtemps, subsiste entre nos deux états. C’est dans ces sentimens que je suis arrivé ici. Votre connaissance, vos sentimens, la cordialité franche et noble que vous m’avez témoignée, tout servit à fortifier d’un sentiment d’amitié personnelle pour vous ceux que j’avais pour ainsi dire reçus dès mon berceau pour la France. C’est dans ces momens que les inquiétudes, la jactance de mes voisins, m’ont été rendues. J’ai cru que, pouvant vous offrir un allié qui, par l’ordre qu’il a mis dans ses affaires, par une flotte considérable, par la générosité et le courage connu de sa nation, et j’ose même ajouter par son personnel, pourrait vous être utile, j’ai cru, dis-je, qu’en vous présentant l’alliance de la Suède sous ce point de vue, et me trouvant, dans un moment où j’étais près de vous, convaincu des mauvaises intentions de mes voisins et de votre naturelle et implacable ennemie l’Angleterre, je ne devais pas balancer un moment à resserrer des nœuds que notre amitié me rendait doublement chers et que l’état actuel de l’Europe semblait me prescrire… J’ai cru qu’il était de la gloire de la France et de son intérêt d’avoir un allié dans le Nord qui pût contre-balancer le colosse énorme qui s’y augmente tous les jours, et qu’il nous était à tous les deux nécessaire de nous unir avant que le tourbillon des grands événemens qui se préparent eût tout emporté… C’est pourquoi je souhaite que nous contractions des engagemens réciproques qui, par leur nature même, fussent plus sacrés que ces unions ordinaires de deux souverains, et plus secrets, puisqu’ils seraient conclus entre nous-mêmes et par nous. J’ai une trop grande confiance en votre amitié pour croire que votre majesté voudra me laisser partir sans avoir établi sur des fondemens solides l’union qui a régné entre nos deux états. Il ne faut pas que la crainte d’exciter la jalousie de nos envieux nous retienne. C’est par une fermeté inébranlable qu’on en impose aux ambitieux ; ce n’est pas par des ménagemens et des égards qu’on les retient… »